L'avantage cumulé (effet Saint Matthieu)

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Sujet : L'avantage cumulé (effet Saint Matthieu)
De : paul.aubrin (at) *nospam* invalid.org (PaulAubrin)
Groupes : fr.sci.zetetique fr.soc.environnement
Suivi-à : fr.sci.zetetique
Date : 09. Mar 2023, 18:51:54
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Face à un point de départ où il peut y avoir un certain nombre d'idées concurrentes sans qu'aucune n'ait de mérite supérieur, le simple fait de se référer au travail de l'autre provoquera un rétrécissement émergent du point de vue, causé par rien d'autre qu'un effet statistique de base. Cet effet est un exemple de ce que l'on a appelé l'effet Matthew.
Le terme plus technique pour ce phénomène est "avantage accumulé", et il fonctionne de la manière suivante :
Supposons que deux articles aient été rédigés sur un sujet et que chacun d'entre eux cite abondamment des documents de référence et des recherches connexes. Supposons que les deux corpus de citations aient le même mérite, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de raison a priori de préférer une liste de citations à l'autre, ou même une citation à l'autre. Toutefois, il est statistiquement probable qu'il y aura un chevauchement, c'est-à-dire que certaines références apparaîtront dans les deux listes.
Ensuite, une troisième personne rédige un article et, afin de générer sa propre bibliographie, elle prélève des échantillons dans celles des deux premières. Statistiquement, les citations qui figuraient dans les deux premières listes auront plus de chances de figurer dans la troisième, ce qui augmentera encore leur prépondérance. Un quatrième article écrit sur le sujet accentuera ce biais, et un cinquième encore plus.
Après seulement quelques générations, le domaine semblera dominé par les opinions d'un petit nombre de scientifiques dont l'ascension a été basée sur une simple chance stupide alimentée par une rétroaction positive. La carrière des scientifiques dépend fortement du nombre de citations reçues, et il est donc tentant de supposer que la plupart des scientifiques de haut niveau et couronnés de succès qui dominent le discours aujourd'hui le font parce qu'ils sont les bénéficiaires de l'effet Matthew plutôt que parce que leurs travaux sont de qualité supérieure. C'est un fait empirique qu'une minorité d'universitaires attire plus de citations que le reste de la communauté réunie, et c'est important parce que le consensus n'est pas un simple jeu de chiffres, il s'articule autour de la réussite.
Vous pourriez penser qu'il s'agit là d'un scénario fantaisiste et naïf qui n'a aucun rapport avec la façon dont la science fonctionne en pratique. Pourtant, de nombreux scientifiques et sociologues le prennent très au sérieux. Les sociologues américains Harriet Zuckerman et Robert K. Merton, par exemple, sont les premiers à avoir inventé le terme "effet Matthew".1 Ils soulignent que c'est ainsi que fonctionne la société en général (la célébrité et la fortune attirent encore plus de célébrité et de fortune) et qu'il n'y a aucune raison de penser que la société des scientifiques fonctionne différemment. En outre, il n'y a pas besoin de conspiration ou d'arrière-pensées ; cela se produirait de toute façon comme la conséquence inévitable d'un simple effet statistique. Et lorsqu'il s'agit de la société des scientifiques, c'est un effet qui risque de saper la valeur épistémologique du consensus.

Date Sujet#  Auteur
9 Mar 23 o L'avantage cumulé (effet Saint Matthieu)1PaulAubrin

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