Le petit garçon au poignet foulé

L’autre jour, mercredi 29 septembre 2021, je me suis rendu au stade m’entraîner sur les portiques de la mairie de Paris. Ce petit espace de sport municipal jouxte un grand terrain de rugby. Comme c’était mercredi, des clubs s’entraînaient. Les enfants couraient donc sur le gazon synthétique. A peine étais-je arrivé que je vis un petit garçon se faire plaquer par un autre. Ça n’avait rien de violent, un peu comme deux morceaux de coton qui se rencontreraient.  Pourtant le petit garçon plaqué avait du mal à se relever. Celui qui l’avait plaqué était resté à côté. Il devait lui demander comment ça allait. Mais ça n’allait pas bien puisque bientôt c’est le moniteur qui est arrivé. Apparemment le petit garçon avait mal au poignet et ça ne semblait pas prendre la voie de l’amélioration. Ainsi le moniteur le conduisit-il aux banquettes installées de l’autre côté du terrain. Ça devait l’embêter qu’un élève soit déjà forfait. Mais c’était peut-être normal au début de la saison. Je les vis s’éloigner tous les deux le moniteur avec la main sur l’épaule du petit blessé.  L'enfant s’assit sur une des banquettes et le jeu reprit.

Voilà une saison bien mal commencée pour ce petit. Sans doute cela n’avait-il rien d’un hasard. Il semblait quand même un peu plus empoté que le garçon qui l’avait plaqué. Et j’en vis d’autres par la suite se faire plaquer et replaquer qui se relevaient tout de suite . Mais pour lui ça ne s’était pas bien passé. Il avait dû mal tomber et son poignet s’était foulé.  Quelle détresse qu’un geste d’aussi peu de conséquences pour tant de ses camarades en aient eu de si funestes pour lui.
Sans doute il s’était mis au rugby pour devenir plus fort, plus vigoureux pour s’aguerrir en se disant qu’il échapperait ainsi à une faiblesse peut-être plus grande que chez les autres. Mais sa plus grande faiblesse en le faisant tomber de manière à ce qu’il en soit blessé avait remporté une manche sur ses efforts. Qui sait si ses parents ne se sont pas dit que l’avenir rugbystique de leur enfant semblait mal engagé.

Mais pourquoi m’étendre outre mesure sur un fait somme toute de peu d’importance ? Est-ce que je voudrais m’en servir pour capter le temps des personnes qui me lisent ? Qu’est-ce que cela peut leur importer et donc, chez lecteur, vous importer ? Cette foulure du poignet m‘a fait penser à ma propre entorse de cheville qui m'est arrivée en 2019. A cette occasion, j’ai appris que 6000 personnes avaient une entorse par jour en France. Le site Améli de la sécurité sociale nous dit en effet
« L’entorse de la cheville est un traumatisme fréquent.
• L'entorse de la cheville est le traumatisme le plus fréquent de l'appareil locomoteur : il est à l'origine de 7 à 10 % des consultations d'urgence hospitalière.
• Chaque jour, 6 000 Français consultent pour une entorse de la cheville.
• Les jeunes en pleine croissance et les sportifs ont plus de risque de se faire une entorse de la cheville. »

 Comme il y a peu de chances qu’elles en aient la nuit surtout si elles restent à dormir dans leur lit, j’en conclus qu’elles leur sont infligées pendant les 16 heures de leur temps de veille.. Cela nous donne 6 entorses par minute rien que pour nos compatriotes. Voilà sur quel précipice nous marchons.
Un peu comme en Chine, où pour l’amusement des visiteurs, des ingénieurs ont joint d’une passerelle les deux bords d’une falaise. La passerelle est faite d’un verre épais qui montre toute la profondeur du ravin aux personnes qui marchent dessus. Ainsi prenons-nous la mesure de notre vie. Chaque minute en France 6 personnes se font une entorse mais aussi peut-on ajouter qu’une personne meurt.. Bien-sûr elle ne meurt pas forcément de l’entorse et il n’y a le plus souvent aucun lien entre les deux. Mais une personne meurt quand même à chaque minute avec autant de régularité que 6 autres, plus chanceuses, se font seulement une entorse. Ainsi voyons-nous le précipice mieux se dessiner.
Mais pourquoi s’infliger pareil spectacle ? C’est pourtant celui de la réalité. Ainsi peut-être la foulure de ce petit garçon ne sera-t-elle pas en pure perte puisqu’elle aura contribué à nous faire prendre conscience de notre immense précarité.