Des mots, des notes. S. comme Suffisance

[S. comme Suffisance] :
Cela se passait au café Bogner où quelques–uns des membres de l'orchestre du théâtre de la porte de Carinthie étaient venus lui demander un « solo » pour un concert qu'ils organisaient.
Schubert refusa net, – sans doute par timidité – mais avec une brusquerie qui choqua ses interlocuteurs. L'un des musiciens répliqua aigrement : « Et pourquoi non, M. Schubert ? Je pense que nous sommes des artistes aussi bien que vous. On n'en connaît pas de meilleurs à Vienne ! » Alors Franz quitta son verre de punch et se mit à tonner contre les impudents : « Des artistes ! Des artistes ! Vous êtes des “Musikanten”, rien de plus. L'un mord l'anche de son hautbois, l'autre s'essouffle sur son cor de chasse ! Vous appelez cela de l'art ! C'est un métier qui rapporte de l'argent et c'est tout ! – Artistes, vous ! Vous ne savez donc pas ce que dit le grand Lessing ? “Comment quelqu'un peut–il donc pendant toute sa vie ne rien faire d'autre que de souffler dans un tube de bois percé de trous ?” Il a dit cela ou quelque chose de semblable. – Vous voulez être des artistes ? Vous êtes des mirlitons, des ménétriers, tous tant que vous êtes ! – Moi, je suis un artiste. Je suis Schubert, Franz Schubert que tout le monde connaît et appelle par son nom, Schubert qui a fait quelque chose de grand et de beau que vous ne comprenez à peu près pas, – et qui fera encore plus beau ! des cantates, des quatuors, des opéras, des symphonies ! Car je ne suis pas seulement un compositeur de tyroliennes, comme on le dit dans des journaux stupides et comme le colportent des imbéciles. – Je suis Schubert ! Franz Schubert ! Sachez–le, et quand on parle d'art, il est question de moi, non de vous, insectes, vers de terre, de vous qui réclamez des soli que je n'écrirai jamais, – je sais bien pourquoi. Vous, vers rampants et rongeurs que mon pied devrait écraser, le pied de l'homme qui atteint les étoiles, – oui, les étoiles, dis–je, – pendant que vous, pauvres vermisseaux, vous rampez dans la poussière et que dans la poussière vous disparaissez et pourrissez, poussière que vous êtes. »
Paul Landormy : La Vie de Schubert. Gallimard, 1929.
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Paul & Mick Victor
Mirliton