Re: Physionomies de la bohème 1 par Jules Levallois

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Sujet : Re: Physionomies de la bohème 1 par Jules Levallois
De : monsieur.karamako (at) *nospam* orange.fr (karamako)
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Date : 09. Jun 2023, 16:30:36
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Le 09/06/2023 à 16:26, karamako a écrit :

I Marc Trapadoux. — Jean Journet (publié dans le XIXe siècle, le 10 janvier 1887)
[...]
Pour comprendre cette chronique et celles qui suivent, il faut sans doute faire quelques présentations. D’abord le « cercle de Murger » désigne un groupe de bohèmes, légendaire en son temps, qui se surnomma « les Buveurs d’eau ». N’ayant point d’argent, ces jeunes gens se contentaient le plus souvent de commander un verre d’eau dans les cafés. Henry Murger est l’une des personnalités saillantes, comme on dit aujourd’hui, de cette bande et il raconte ses souvenirs dans un livre plus tard adapté au théâtre, Scènes de la vie de bohème en 1851, son grand succès. Les membres du club y sont dissimulés sous pseudonymes mais il n’était pas difficile pour les contemporains (dont Alexandre Schanne) de rétablir l’identité réelle des personnages du livre.
Dans la bande, il y avait des écrivains, des poètes et des peintres (par ordre alphabétique et sans exhaustivité) : Charles Barbara ; Antoine Chintreuil ; Alfred Delvau ; les frères Desbrosses ; Pierre Dupont ; Charles Guilbert ; Jules et Henry de La Madelène ; Léon Noël ; Edouard Plouvier ; Alexandre Privat d'Anglemont ; François Tabar ; Marc Trapadoux ; Armand Vastine ; Eugène Villain ; Jean Wallon ou encore Antonio Watripon.
Henry Murger (1822-1861) a suivi le parcours classique de la bohème : une naissance modeste (fils d’un concierge et d’une ouvrière), amitiés artistes, collaboration au Corsaire, il accède à la célébrité grâce aux Scènes de la vie de bohème. Ce livre, fondateur de la légende, donne une image pittoresque d’un mode de vie libre et joyeux. Hélas, l’humour vieillit vite, et les plaisanteries de ces jeunes gens avaient déjà perdu de leurs charmes une génération après eux. D’ailleurs Murger, dans ses écrits ultérieurs, semble renier l’existence d’artiste maudit voué à l’art pour l’art et critique la passivité de ses anciens amis qui préféraient mourir de faim plutôt que d’aller solliciter la fortune. Pour achever son parcours, il meurt en 1861 à 38 ans dans la Maison de santé municipale du Dr Dubois (aujourd’hui hôpital Fernand Widal) où sont coutumièrement envoyés les gens de lettres malades. Son enterrement est suivi par toute la bohème et donne lieu à des dizaines d’articles dans la presse.
Alexandre Schanne (1823-1887), grand ami de Murger et membre de son groupe, est décrit dans les Scènes de la vie de bohème sous le nom de Schaunard, suite à une coquille typographique (le n de Schannard transformé en u). Après quelques années, il se range du milieu artistique et de cette vie extravagante pour reprendre le magasin de jouets de son père, dans le Marais. Ce n’est qu’à la fin de son chemin, en 1886, qu’il raconte ses Souvenirs de la vie de Schaunard où il rétablit certaines vérités et dresse de longues listes de bohèmes.
Champfleury (1821-1889), de son vrai nom Jules François Félix Husson, grand ami du précédent, est un autre littérateur bohème qui semble avoir connu tous les cercles de la bohème au cours du 19e siècle, grâce à sa longévité. Il raconte cette amitié et notamment le passage d’une femme dans leur vie, à travers Les Aventures de Mademoiselle Mariette. On croise dans ce récit la figure d’un étrange poète, amoureux des chats, qui lui offre un sonnet sur ce mystérieux animal. D’ailleurs son livre sur Les Chats représente son plus grand succès littéraire. Champfleury fut l’ami de tout le monde, de Victor Hugo, de Flaubert, et de Baudelaire, donc. On le situe dans le camp des Réalistes qui se réunissaient à la brasserie Andler puis à la brasserie des Martyrs, constituant un nouveau groupe, où se retrouvent, outre les anciens Buveurs d’eau, Gustave Courbet, Jules Vallès, Proudhon, Honoré Daumier et une troisième génération de bohèmes. Champfleury qui était partout en son temps et semble nulle part aujourd’hui.
Léon Noël (1807-1883) est un lithographe et buveur d’eau.
Gustave Planche (1808-1857) est un critique d’art et critique littéraire, autre bohème typique : toujours pauvre, sauf au moment où il hérite d’une belle somme d’argent qu’il dilapide aussitôt pour voyager en Italie pendant sept ans, il meurt à la maison de santé Dubois. Destiné par son père à des études de pharmacie, il se détourne de cette ennuyeuse voie pour se consacrer à l’art (et à la boisson, ont écrit certaines mauvaises langues), et donc se vouer à la pauvreté. Désintéressé, intransigeant, rude et impartial dans ses critiques, il s’était fait de nombreux ennemis, notamment par son « anti-romantisme » (il fréquente les Réalistes), au point de se battre en duel pour un article.
Auguste Lacaussade (1815-1897) est un poète et critique, né à Saint-Denis de l'île Bourbon (la Réunion) et mort à Paris. Il ne fait pas, à mon avis, partie de la bohème mais son nom apparaît fréquemment dans les notices biographiques de nos littérateurs en quête d’appuis. Il est « quarteron » et souffre de cette origine à diverses occasions dans sa vie ; il milite pour l’abolition de l’esclavage. Il fut lui aussi secrétaire de Sainte-Beuve et même bibliothécaire du Sénat à la fin de sa vie.
Philibert Rouvière (1805-1865) est un comédien (ancien peintre) qui démarra sa carrière au Théâtre de l’Odéon dans les années 1840, au sein d’une troupe désargentée. Petit, maigre et nerveux, d’une diction monotone, il atteint enfin la gloire avec le rôle d’Hamlet et s’attire la sympathie des Romantiques, comme George Sand. C’est un grand ami de Marc Trapadoux ; Baudelaire était admiratif de son jeu, au point qu’il lui proposa d’interpréter le rôle principal d’une pièce en projet.
Marc Trapadoux (1822-1865) est un écrivain aux mœurs et au style excentriques qui apparaît dans plusieurs autres souvenirs de la bohème. Né à Lyon, il vécut dans une grande misère à Paris et mourut aux Incurables. Ce géant lettré, ce colosse très cultivé – ce qui n’était alors pas antithétique –, menait d’interminables conversations philosophico-mystiques avec Jean Wallon et Baudelaire dans les cafés de la bohème. Une anecdote circule d’ailleurs sous différentes formes : une nuit qu’il était tard, il hébergea Baudelaire dans sa misérable chambre et s’en alla dormir sur une chaise dans un placard pour laisser l’unique lit à l’auteur des Fleurs du mal. Contrairement à ce que pense Jules Levallois, Trapadoux est bien l’auteur d’une Histoire de Saint-Jean-de-Dieu en 1844, texte qui comporte des alinéas, mais il ne publia plus guère ensuite, hormis quelques études comme celle sur Mme Adélaïde Ristori (1822-1906), actrice italienne de tragédie d’une grande célébrité. Outre le comédien Rouvière, Trapadoux fréquentait des « romantiques frénétiques » comme Pétrus Borel et Charles Lassailly auxquels nous voudrions consacrer quelques lignes plus tard.
Jean Journet (1799-1861) est un étonnant et sympathique personnage, au sein d’un monde lui-même étonnant. Utopiste, un temps pharmacien, poète, d’origine occitane (né à Carcassonne, mort à Toulouse), il se fit l’apôtre des idées de Charles Fourier et prêche « l’harmonie et la fraternité dans l’association » avec une fureur méridionale, en France, en Belgique, en Suisse et même au Texas où il visite la colonie de Victor Considérant. Habitué du café Momus, il fréquente les artistes de son temps comme Dumas, George Sand, Victor Hugo, Gustave Courbet, Nadar qui l’aimait beaucoup, ou Champfleury. Il publie de nombreuses petites brochures aux titres enflammés (Cris et soupirs, Cris suprêmes, Cris d’indignation, Cris de compassion, Cris de délivrance, Clameurs du désert…) qu’il distribue plutôt qu’il ne vend, sans guère convaincre le petit peuple des cafés, étudiants et artistes. Tous ses revenus passent à défendre la Cause, au grand désespoir de son épouse… Sa photographie par Nadar le montre hirsute, pourvu d’une barbe inculte, les yeux au ciel dans une attitude mystique, enveloppé d’un manteau qui semble une bure monastique et on l’entend presque traiter en hurlant les indifférents d’« impossibilistes pacifiques » ou de « sybarites gorgés » !
Étienne Cabet (1788-1856) est un autre utopiste (le premier à se dire « communiste »). Il fonde une communauté au Texas, nommée Icarie. Que sont devenus ces idéalistes ? Sans doute, Fourier, Muiron, Owen, Cabet, Considérant, Clarisse Vigoureux, Jean Journet, Adolphe Gouhennant, Abel Transon, Jules Lechevalier, Albert Brisbane, et tant d’utopistes du 19e siècle, transportés à notre époque, rejoindraient-ils une de ces ZAD, tant redoutées par le ministère de l'intérieur.
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A.

Date Sujet#  Auteur
9 Jun 23 * Physionomies de la bohème 1 par Jules Levallois2karamako
9 Jun 23 `- Re: Physionomies de la bohème 1 par Jules Levallois1karamako

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