Physionomies n°7 par Levallois

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Sujet : Physionomies n°7 par Levallois
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Date : 08. Jul 2023, 17:41:35
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FERDINAND FOUQUE (8 juillet 1887)
I - L’HOMME
J’écris ce mot avec un peu d’hésitation. L’homme, je l’ai rencontré plusieurs fois. À trois ou quatre reprises, nous avons rompu le pain ensemble, nous avons eu l’occasion d’échanger des lettres sans importance. En réalité, je ne sais rien de lui, et ceux-là qui en ont su ou qui en savent quelque chose doivent se trouver, à l’heure qu’il est, singulièrement clairsemés. En quel pays, en quelle année est né Ferdinand Fouque ? Quelle fut son éducation ? Comment a-t-il vécu ? À quel moment précis a-t-il disparu de ce monde où il tenait si peu de place ? Autant de questions auxquelles je ne saurais répondre d’une manière satisfaisante.
Français, il l’était à coup sûr, et l’admirable prose de ses écrits, suffit à en faire foi. Provençal très probablement, quoique jamais d’une façon déterminée il n’ait indiqué le lieu de sa naissance. L’un de ses essais sur les danses grecques, dont nous parlerons tout à l’heure, contient une allusion à son séjour dans le Midi, exception unique à sa prodigieuse discrétion. C’est à propos d’un jeu antique, l’Ascoliasme, qui consistait à sauter et à se tenir debout sur des outres frottées d’huile : « Je me souviens, écrit-il, d’avoir été témoin de ce jeu dans une petite ville, sur le rivage de la Méditerranée. Le spectacle serait fort gai. Des vignerons et des mariniers sautaient sur l’outre, bondissant, retombant, chancelant, se relevant et s’étendant sur le sable fin, uni et doré, après avoir décrit dans l’air les mouvements les plus bizarres qu’on puisse imaginer. Ces chutes causaient un plaisir extrême, et le vent de mer emportait les rires épanouis. »
Ce nom de Fouque est fréquent à Marseille, à Toulon, et je l’ai même retrouvé dans les petites villes du littoral, à La Ciotat, à Cassis. L’étymologie serait risquée qui, par à peu près, ramènerait ce nom à une origine antique, à ces Phocéens fondateurs des colonies grecques de la côte provençale, premiers apôtres dans notre Gaule d’une civilisation raffinée. La pensée de cette ascendance ou de cette descendance, comme on voudra, hantait très certainement l’esprit de Fouque. Sa main, qu’il avait fort belle, qu’il montrait volontiers, était ce que les chiromanciens appellent une main grecque, c’est-à-dire ne présentant que les trois ou quatre grandes lignes élémentaires profondément creusées. Son meilleur ami était un jeune Grec, également très lié avec l’acteur Rouvière. Enfin, la Grèce, dans sa période lumineuse comme dans son passé presque fantastique, dans ses lois, ses usages et sa langue, lui était absolument familière. Elle lui tenait lieu de richesse, de distraction, de consolation ; elle lui fournissait aussi son gagne-pain, car il ne subsistait, bien misérablement, hélas ! que de quelques répétitions de grec données à de futurs licenciés.
Même parmi des camarades que la fortune n’avait pas accoutumé de gâter, Fouque paraissait étonnamment pauvre. Son chapeau, son paletot et ses souliers formaient un assemblage indescriptible et navrant. Sa chambre, où il me reçut une fois, étant malade, brillait par une absence de meubles qui surprenait d’abord, et, à la réflexion, serrait le cœur.
Le boulevard Saint-Michel n’existait pas alors (1854-1858), et pour accéder, selon la locution consacrée, à la Sorbonne, il fallait, dans le haut de la rue de la Harpe, à gauche, prendre une horrible ruelle pompeusement appelée rue Neuve Richelieu. À l’un des angles de cette rue, s’élevait une très laide maison à six étages, dont le rez-de-chaussée était occupé par le successeur de Flicoteaux, le restaurateur populaire que Balzac a rendu célèbre en nous montrant parmi ses habitués, dans Un grand homme de province à Paris, le journaliste Lousteau et le poète Lucien de Rubempré. C’était là, sous les combles de cette sombre et haute maison, au fond de corridors tortueux, étroits, interminables, que, dans une mansarde digne du logis classique de Gilbert ou de Malfilâtre, habitait Ferdinand Fouque, ayant pour tout confort et pour toute compagnie, quelques volumes dépareillés de Platon.
Il vivait dans le rêve, ne sentant rien, ne s’apercevant de rien. Son imagination s’arrêtait avec une complaisance particulière sur les objets de prix, diamants, bijoux, perles fines, et son langage témoignait constamment de cette disposition. J’ai souvent pensé que si la pauvreté extrême de sa tenue ne lui causait aucun embarras, n’éveillait en lui aucune timidité, c’est qu’il ne la voyait pas. Il aurait porté sans forfanterie et avec un parfait naturel la cape en dents de scie et les bas en spirale de don César de Bazan, et cela, non en Aragon ou en Castille, mais en plein Paris du dix-neuvième siècle.
Soit que l’habitude de l’abstinence fût passée chez lui à l’état de seconde nature, soit que sa sobriété méridionale le rendit insensible aux séductions de la table, il ne profitait point des quelques bonnes aubaines, des quelques « balthazars » amicaux auxquels il lui était permis de prendre part, pour s’en réjouir à la façon gloutonne d’un Panurge ou d’un Sancho-Pança. Je le vois encore à un festin que nous avions pu, l’un de mes camarades et moi, offrir dans notre chambrette de la rue de la Victoire à nos amis du quartier latin, Marc Trapadoux, Melvil-Bloncourt, Gabriel Dantragues, Alfred Delvau ; je vois, dis-je, Fouque pâle, tranquille, touchant à peine aux mets, aux boissons, s’exprimant avec la gravité douce d’un néo-platonicien quelque peu dépaysé. Au dessert, et pendant la soirée, qui se prolongea extrêmement tard, chacun récita les compositions que des éditeurs, ennemis de leurs propres intérêts, avaient eu l’aveuglement de ne pas accueillir. Quand ce fut au tour de Fouque, il entonna d’une voix gutturale (car il n’avait pas le joli accent musical de la Provence) une chanson ou plutôt une sorte d’ode lugubre sur le spectacle que l’Europe et la France offraient pendant les premières années du second empire. C’est l’unique fois que je lui aie entendu dire des vers et faire de la politique. Le tout, du reste, produisit sur nous peu d’impression.
Ordinairement réservé jusqu’à la méfiance et rendu silencieux par un orgueil qui ne pouvait supporter ni une contradiction ni une observation (c’et lui-même qui m’en a fait l’aveu), Fouque ne nous communiquait aucun de ses travaux en cours d’exécution. Aussi éprouvâmes-nous une surprise agréable, du moins je parle pour mon compte, lorsque, de 1856 à 1858,se succédèrent, dans la Revue française, les études étranges, mais fort belles, et, par certains côtés, tout à fait hors ligne, sur le Drame satirique, l’Atellane, les Danses grecques, la Gravure sur pierres fines, les Camées du cabinet de France, etc. Il y avait là une variété de connaissances, une originalité d’appréciation, une sûreté de main, une science du style qui furent remarquées de quelques lettrés délicats, comme Baudelaire, de quelques jeunes gens ardents et cultivés comme Vallès, mais qui, toutefois, ne fixèrent pas l’attention générale au degré où certainement elles le méritaient. Il aurait fallu qu’un distributeur autorisé de renommée, Sainte-Beuve, par exemple, près de qui je n’étais pas encore à cette époque, prit en main ces fragments, comme on l’avait fait, en 1840, pour Maurice de Guérin, et en montrât à la foule l’inestimable valeur.
Il aurait fallu aussi que Ferdinand Fouque eût l’esprit de ne pas se laisser mourir incognito, juste au moment où, avec un peu de patience, il allait arriver à la plus légitime notoriété. Ce fut une disparition soudaine, absolue, complète. À l’obscurité, Fouque avait ajouté le mystère : il en fut la victime ; ce mystère, il l’étendait aussi à son âge ; j’estime que vers 1858, il devait avoir une trentaine d’années ; les privations l’avaient vieilli et fatigué. Le seul détail que j’aie pu recueillir sur les derniers temps de sa vie le représente comme atteint d’un véritable illuminisme. Il ne s’occupait plus que de théosophie, de théurgie et rêvait des sphères célestes avec autant de placidité qu’il avait rêvé des élégances terrestres.
Au moins n’est-il point, ainsi que tant d’autres, mort tout entier. Les neuf ou dix essais publiés dans la Revue Française, et auxquels peuvent s’ajouter d’autres fragments dont je donnerai l’indication, suffisent pour préserver la mémoire de Fouque d’un total oubli et pour justifier les louanges que la critique a le devoir et le droit de lui accorder.
Il serait bien intéressant de savoir par qui et comment ce sauvage, ce solitaire, ce misanthrope Fouque se trouva mis en rapport avec M. Jean Morel, le directeur de la Revue Française. Si des notes ou des lettres relatives à cette collaboration venaient à se retrouver dans les papiers de M. Morel, mort jeune lui-même, comme quelques-uns des écrivains qu’il avait groupés autour de lui, cela formerait une page de ces curieux chapitres de nos annales littéraires, — l’histoire de la Revue Française, -qui s’écrira un jour ou l’autre .
Jean Morel, que j’ai trop peu connu pour en parler avec détail, assez cependant pour lui vouer de la gratitude puisqu’il favorisa l’un de mes premiers débuts , était un de ces esprits dégagés et fermes qui n’attendent pas qu’un écrivain soit célèbre pour lui tendre la main, et qui ne se bornent point à juger sur l’étiquette. Plus d’un nom aujourd’hui bien en vue, justement estimé du public, a commencé de se produire sur la couverture de la Revue Française. Je me contenterai de citer, entre beaucoup d’autres, Auguste Lacaussade et André Lemoyne. Tel talent aventureux, Ernest Hello, par exemple, aurait frappé longtemps et vainement à bien des portes, si le bienveillant accueil de Jean Morel n’avait abrégé ce pénible stage. Ce ne fut peut-être pas sans quelque difficulté que le directeur de la Revue apprivoisât Ferdinand Fouque. Ce qu’il y a de certain, c’est que ce choix fait honneur à la décision et à la finesse de son goût.
La mort prématurée de Fouque, l’absence complète de relations à laquelle il s’était condamné ou résigné, la nature un peu abstraite de ses travaux empêchèrent ou du moins ajournèrent toute idée de publication d’ensemble.
Le désir de réunir ces précieux fragments ne laissa point cependant que de se présenter à divers esprits. Vallès m’en parla à plusieurs reprises. Le difficile était moins de trouver un éditeur que de se procurer les exemplaires des journaux et revues où Fouque avait écrit, en dehors de la Revue française, numéros épars du Mousquetaire et d’une très éphémère Revue européenne ; qu’il convient de ne pas confondre avec celle que dirigea Lacaussade, en 1859. Nous y étions parvenus cependant, et le dossier ne présentait plus de lacunes, lorsque les événements de 1870 emportèrent et balayèrent, dans leur effroyable tempête, nos modestes préparatifs de reconstruction littéraire. Vallès se jeta tout entier dans la politique, et le dossier, si soigneusement établi, disparut dans les flammes qui consumèrent, en 1871, la maisonnette que j’occupais à Montretout.
Puisque le hasard de ces souvenirs a placé sous ma plume le nom de Fouque, puisqu’il m’a été permis récemment de relire les principales compositions de l’écrivain trop oublié, je veux profiter de cette occasion, après avoir évoqué une physionomie fugitive, pour entrer dans l’intimité d’une œuvre durable et y faire avec moi pénétrer nos lecteurs.
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A.

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8 Jul 23 * Physionomies n°7 par Levallois3karamako
8 Jul 23 `* Re: Physionomies n°7 par Levallois2karamako
17 Jul 23  `- Re: Physionomies n°7 par Levallois1liaM

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