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On aime pas le chef ?
Dupond-moretti reconduit, les magistrats sidérés
Mis en examen pour prise illégale d’intérêts, le garde des Sceaux va devoir mener à bien une grande réforme de la justice.
Le Figaro24 May 2022PAULE gonzalès
pgonzales@lefigaro.fr« Stupeur et tremblements. » Vendredi, la sidération a figé le corps des magistrats, lorsque, sur le perron de l’élysée, le nom d’éric Dupond-moretti a été, une nouvelle fois, annoncé comme garde des Sceaux. En juillet 2020, l’annonce de son arrivée au gouvernement avait été un choc. En mai 2022, c’est une gifle. Aucun magistrat n’imaginait que le président de la République renomme à la Place Vendôme un homme mis en examen pour prise illégale d’intérêts et bientôt renvoyé devant la Cour de justice de la République. « C’est un lit de justice, dénonce Ludovic Friat de l’union syndicale des magistrats (USM). Ce que vient de faire subir aux magistrats le président de la République avec cette nomination rappelle une tradition d’ancien régime qui consistait, pour le roi, à se déplacer pour imposer ses ordonnances aux parlementaires trop turbulents.» Le Syndicat de la magistrature s’étonne également : « Le ministre de la Justice mis en examen comparaîtra sans doute devant la Cour de justice de la République, alors même qu’il devra se déterminer sur le maintien ou la disparition de cette Cour. »
Un mélange des genres vertigineux pour ces syndicats, à l’origine de la plainte contre le garde des Sceaux à l’automne 2020. Devoir de réserve oblige, les grandes conférences de magistrats du parquet et du siège se gardent, elles, de tout commentaire. Mais cette nomination fait grincer quelques dents: En toute connaissance de cause, on nomme Éric Dupond-moretti, qui ne sera pas un garde des Sceaux plein et entier puisqu’il faudra un nouveau décret de déport en faveur de la première ministre. Est-ce raisonnable que le ministre de la Justice ne puisse s’occuper ni du dossier corse, ni de certaines affaires de criminalité organisée parce qu’il était partie au dossier? Ce seul point est suffisant en soi pour s’étonner de cette reconduction, affirme un haut magistrat, très respecté par ses pairs.
Car contrairement à ce que pense le garde des Sceaux, ce ne sont pas les seuls syndicats qui lui sont opposés, mais une bonne partie de la communauté judiciaire, au point de faire dire à un jeune magistrat : «La nomination d’éric Dupond-moretti a au moins une vertu, celle de mettre d’accord tous les magistrats, quels que soient leur obédience ou leur grade. C’est si rare qu’il faut s’en réjouir ! », raille-t-il. Les plus raisonnables des magistrats en appellent tout de même au respect de la présomption d’innocence et se gardent bien de commenter la procédure en cours.
Une procédure dont le calendrier est tenu au cordeau par la magistrature, à dessein. En effet, en plein remaniement et alors qu’il avait encore deux mois pour le faire, François Molins, procureur général près la Cour de cassation, a signé, le 10 mai dernier, son réquisitoire définitif pour un procès, jugeant qu’il y avait des «charges suffisantes» de prise illégale d’intérêts contre le citoyen et ministre Éric Dupond-moretti. À la défense, maintenant, de produire ses observations..
Parallèlement, ce lundi, une audience s’est tenue durant laquelle les avocats du garde des Sceaux ont demandé de nouvelles auditions: celle de Céline Parisot, présidente de l’union syndicale des magistrats, et celle du magistrat honoraire Henri-claude Le Gal. Ce dernier avait été consulté à l’automne 2021 par la Commission de l’instruction sur l’opportunité de poursuivre le garde des Sceaux, sans que cette démarche ne figure au dossier. Le délibéré de cette audience devrait intervenir entre les deux tours des législatives. Au début de l’été, la Commission d’instruction de la CJR décidera, à son tour, si elle renverra l’affaire devant la CJR. S’ensuivra une foule de recours et de pourvois devant la Cour de cassation. Un cheminement long, qui ne laisse pas présager d’un procès avant une petite année. Mais Christophe Ingrain, l’avocat d’éric Dupond-moretti, ne craint pas l’audience: «La phase d’instruction était peu utile. Les explications viendront devant la formation de jugement. »
Le monde de la justice, lui, est moins serein : «Je reviens d’un tour de France des juridictions, témoigne Béatrice Brugère, présidente d’unité magistrats. Je ne vois qu’une justice sinistrée, souffrant de ses stocks, de ses magistrats sous tension et de procédures délirantes. Où était le ministre ces dernières semaines, où est-il aujourd’hui alors qu’il y a urgence sur de nombreux dossiers ? », s’insurge-t-elle.
L’USM, elle, a les yeux braqués sur l’immense réforme à venir: celle du recrutement de 1 500 magistrats sur le quinquennat, le double de ce qui se fait chaque année. De quoi bouleverser le recrutement et la formation des nouveaux magistrats qu’il faudra bien intégrer aux juridictions. « Nous voulons être une force de proposition, pouvoir prendre le temps de l’analyse des projets, les discuter et les améliorer. Mais avec la personnalité qui est la sienne nous avons comme un doute », sourit Ludovic Friat. Du côté du Syndicat de la magistrature, on évoque « un problème de gouvernance, car le garde des Sceaux parle beaucoup et n’écoute personne ». Ce dernier, emporté par l’enthousiasme, jure qu’il sera le ministre
« du dialogue et de la concertation ». Il serait temps. ■
“Le ministre de la Justice mis en examen comparaîtra sans doute devant la Cour de justice de la République, alors même qu’il devra se déterminer sur le maintien ou la disparition de cette Cour ” Le Syndicat de La magistrature
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Ptilou