Sujet : Des mots, des notes. I. comme Interprétation (2)
De : b.suisseVotreculotte (at) *nospam* gmail.com (Paul & Mick Victor)
Groupes : fr.rec.arts.musique.classiqueDate : 30. Sep 2023, 07:03:57
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[I. comme Interprétation] :
En réalité, un produit musical n’échappe à une identité purement commerciale que dans l’instant où commence son dialogue avec l’interprétation, et pas avant. Avant, il risque seulement d’être un produit commercial non vendu. C’est l’ouverture du dialogue avec l’interprétation qui multiplie les identités de l’œuvre, et lui trace un chemin vers sa vérité, ceci excluant automatiquement toute perception naïve et sans médiation. Alors peut se matérialiser ce que l’idée de la musique cultivée comportait d’utopie et d’espoir. Mais cette matérialisation est continuellement à refaire. Aucune œuvre d’art n’est assez forte pour survivre à la surdité de ceux qui l’écoutent. Si l’interprétation disparaît, alors l’œuvre rétrograde inexorablement au stade de produit de consommation, toute différence et suprématie disparaissant. Que la Septième de Beethoven ait pu sans problème servir – on l’a vu – d’accompagnement sonore dans une publicité pour du papier hygiénique autorise à penser que même les pièces les plus charismatiques du répertoire classique sont incapables d’opposer une résistance sensible à un mode de consommation qui les ramène au rang de purs objets. Le processus qui les élève au-dessus d’elles-mêmes et cristallise leur différence est entièrement réversible : ce n’est jamais une conquête définitive. C’est plutôt un événement différé, que l’œuvre attend, que le temps fait mûrir, et qu’un certain présent, un jour, trouve la force d’évoquer. Cette force est celle de l’interprétation. Elle semble aujourd’hui plus évanescente que jamais. Et ceci parce que l’idée d’interprétation est, actuellement, une idée bloquée. La libérer serait le seul moyen pour que le monde de la musique retrouve de nouveau la force de briser les sortilèges de l’insignifiance et d’ouvrir un dialogue réel avec les œuvres du passé.
Alessadro Baricco : L'Âme de Hegel et les vaches du Wisconsin. Albin Michel, 1998 pour la traduction française.
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Paul & Mick Victor
Thèse, antithèse, fouthèse ?