Des mots, des notes. A. comme Antisémitisme
Sujet : Des mots, des notes. A. comme Antisémitisme
De : b.suisseVotreculotte (at) *nospam* gmail.com (Paul & Mick Victor)
Groupes : fr.rec.arts.musique.classiqueDate : 12. Oct 2023, 00:03:58
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[A. comme Antisémitisme] :
Le Conseil de Paris, siégeant en formation de Conseil général,
Depuis 1988, Porte de Saint-Mandé, au 18 avenue Vincent d'Indy, le 12e arrondissement accueille un collège aux formes originales dessiné par l'architecte Claude Parent.
Depuis l'ouverture de cet établissement, les équipes pédagogiques y accomplissent un travail remarquable et dynamique qui ne saurait être critiqué, et auquel l'ensemble des élus municipaux apporte leur soutien.
Cet établissement se nomme collège Vincent d'Indy, tout simplement en raison du nom de l'avenue où il se trouve. Cette dernière, ouverte en 1920 sur les fondations des anciennes enceintes de Thiers, porte ce nom depuis 1932.
Vincent d'Indy, né en 1851 et mort en 1931, fut un compositeur et un enseignant d'une grande activité qui eu une certaine notoriété de son vivant. Un an après sa mort, la Ville de Paris jugea opportun de lui attribuer le nom d'une nouvelle avenue. Toutefois, son œuvre musicale, et même sa vie, nous sont aujourd'hui peu connues.
Et pourtant, Vincent d'Indy fut aussi un acteur publiquement engagé de la vie politique de son temps. Violemment antidreyfusard, membre de la Ligue de la Patrie Française et proche de l'Action Française, il manifesta vigoureusement, dans le cadre de sa discipline, ses convictions antisémites.
Ainsi, dans un de ses ouvrages d'histoire musicale, il écrit : "le juif ne peut que répéter et imiter, il ne peut pas créer. Nous sommes donc forcés de regarder la période du judaïsme dans l'art musical, comme celle de la plus complète impuissance dans l'ordre de production" (1). Dans un autre ouvrage, à propos de Félix Mendelssohn, il affirme : "de telles qualités et de tels défauts sont extrêmement répandus chez les israélites : toujours habiles à s'approprier le savoir des autres, il ne sont presque jamais véritablement artistes par nature. (2)"
(…)
D'autres exemples significatifs, portant la marque de cette obsession raciste antisémite, sont encore nombreux tout au long de "l'œuvre" de Vincent d'Indy.
Les élus parisiens savent qu'ils n'ont pas compétence à juger la qualité d'une œuvre artistique. Ici, ce n'est pas le sujet. Ils savent aussi que l'histoire de notre ville, mêlée à celle de notre pays, est une histoire complexe qui ne doit subir aucune simplification ou analyse anachronique.
Mais, le choix du nom que l'on attribue à une avenue et tout particulièrement à un établissement scolaire public, lieu de transmission de connaissances et de valeurs universelles, ne peut être fait sans réflexion. C'est un sujet grave et sérieux car il marque plusieurs générations de jeunes élèves. Ce nom doit être celui d'une femme ou d'un homme dont l'existence est porteuse de sens et constitue un exemple. Il doit transmettre des valeurs symboliques conformes à celles de la République qui n'est pas un régime neutre. Notre République est forte quand elle défend ses idées. Les nombreux écrits et même certaines œuvres de Vincent d'Indy nous apparaissent, d'évidence, tourner radicalement le dos à ces principes fondateurs. Les choses ne peuvent donc rester en l'état.
Sur la proposition de M. Alexis Corbière, M. Ian Brossat au nom du groupe Communiste et des élus du Parti de gauche,
Émet le vœu :
- Que M. le Maire de Paris autorise qu'une réflexion s'engage pour attribuer à cet établissement scolaire un nouveau nom conforme aux valeurs émancipatrices de la République et de Paris."
Vœu relatif au nom du collège Vincent d'Indy dans le 12e arrondissement. Conseil de Paris, séance du 27 mai 2010.
(1) Cette phrase se trouve effectivement dans "Richard Wagner et son influence sur l'art musical français" (Delagrave, 1930), et il est évident que d'Indy y adhère sans réserve. Néanmoins, il faut rendre à César ce qui appartient à Wagner. La citation exacte est : "… c’est ainsi que, dans une brochure devenue rare : Le judaïsme dans la musique (1868), Wagner a pu écrire avec juste raison et preuves à l’appui : « Le juif ne peut que répéter et imiter, il ne peut pas créer… Nous sommes donc forcés de regarder la période du judaïsme, dans l’art musical, comme celle de la plus complète impuissance dans l'ordre de la production. »"
(2) Cours de Composition musicale, vol 2. Durand, 1909. Il aurait été souhaitable que les auteurs de ce vœu indiquent précisément les références des textes qu'ils citent.
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"Peut-on dissocier l’œuvre de l’auteur ? Oui et non. Oui, parce que, comme on l’a vu, l’identification de l’œuvre et de l’auteur n’est jamais complète, et parce que l’œuvre lui échappe. Elle lui échappe d’abord dans le processus même de production, en amont en ce que le projet créateur est façonné par un espace des possibles et des pensables, en aval en ce que la fabrication du sens de l’œuvre est le fruit d’un travail collectif impliquant une série d’intermédiaires. Elle lui échappe plus encore dans le processus de réception, car celui-ci n’est pas passif, il passe par des formes d’appropriation qui peuvent être contradictoires.
(…)
Non, on ne peut dissocier l’œuvre de son auteur·e (1), car elle porte la trace de sa vision du monde, de ses dispositions éthico-politiques, plus ou moins sublimées et métamorphosées par le travail de mise en forme, qu’il est nécessaire de porter au jour pour la comprendre dans sa sociogenèse comme dans ses effets. Qu’elle ou il en assume la pleine responsabilité, y compris dans ses effets qui lui échappent, telle est la règle du jeu, qu’elle ou il en joue ou la déjoue. Il importe cependant d’analyser cette œuvre dans son évolution, en rapportant les stratégies d’auteur et les stratégies de création aux transformations du champ de production culturelle où elle s’inscrit et qui lui confère sa signification."
Gisèle Sapiro : Peut-on dissocier l'œuvre de l'auteur ? Éditions du Seuil, 2020.
(1) Pour être cohérente et appliquer scrupuleusement les règles de l'écriture inclusive, Gisèle Sapira aurait dû écrire : "de saon auteur.e" (Règles de grammaire neutre et inclusive, Divergenres, 2021, Québec.)
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"Comment reprocher à quelqu’un de reprendre à son compte une opinion communément admise à son époque, aussi déplorable puissions-nous légitimement la trouver de nos jours ? À l’ère victorienne, chez les membres de la classe supérieure de sexe masculin, l’inégalité entre les races et les sexes ne faisait pas l’ombre d’un doute – il n’y avait pas là plus matière à controverse que le théorème de Pythagore. Darwin a effectivement élaboré une argumentation nouvelle pour justifier une croyance répandue – et sur ce point, nous pouvons essayer de formuler un jugement. Mais je ne vois pas l’utilité de le critiquer sévèrement parce qu’il a accepté de façon passive une idée alors largement répandue. Il vaut donc mieux essayer de comprendre pourquoi cette absurdité passait alors pour connaissance certaine.
Si je choisis de condamner tel ou tel personnage historique pour son adhésion aux opinions détestables de son époque, il ne restera bientôt plus personne digne d’admiration, dans certaines des périodes les plus intéressantes de notre histoire. Par exemple, et en parlant en mon nom propre, si je devais rejeter comme indigne de mon attention tous les auteurs et compositeurs de l’époque victorienne ayant eu une attitude antisémite, je ne pourrais plus prendre en considération qu’une gamme d’œuvres musicales et littéraires lamentablement restreinte. Il n’est certes pas question d’accorder la moindre once de sympathie aux individus qui ont activement participé aux persécutions ; mais je ne peux blâmer tel ou tel individu parce qu’il a acquiescé passivement aux opinions alors socialement admises. Il faut bien plutôt critiquer ces dernières, et essayer de comprendre ce qui motivait les hommes de bonne volonté."
Stephen Jay Gould : La mal-mesure de l'homme. Odile Jacob, 1997.
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Paul & Mick Victor
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Date | Sujet | # | | Auteur |
12 Oct 23 | Des mots, des notes. A. comme Antisémitisme | 1 | | Paul & Mick Victor |
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