Elémentaire, mon cher Watson.

Le soir tombait peu à peu sur Londres, et nous étions tous les deux à rêvasser. Moi en pensant à cette affaire de vol de bijoux; lui, enfoncé dans son fauteuil, comme perdu dans des considérations secrètes. Il brisa le silence:
 - f(x)=y=x²+4x+5, Watson.
Lancer ainsi une équation dans le calme de la pièce, c'était assez inattendu, et cela me fit sourire.  - Il n'y a pas de racines, dis-je à mon ami.
 - Les mathématiciens en trouvent pourtant deux, répondit-il, en laissant comme souvent monter dans l'air de la pièce ces sortes de figures rondes qu'il faisait régulièrement jaillir de sa pipe.  - C'est finalement assez simple à comprendre, repris-je, ce sont des racines imaginaires, et depuis l'époque de Descartes, on pratique avec l'utilisation des nombres complexes, et les résultats sont pratiques et incontestables.  - Le problème, c'est qu'on procède très mal, car pour résoudre le problème, les mathématiciens commettent une énorme bourde en posant un concept mal défini; encore plus faux qu'abstrait. Ils posent i²=-1. Leur aveuglement est total.
 Je fus stupéfait de la saillie de mon compagnon de location. Certes je savais Holmes très féru de chimie, mais je ne savais pas qu'il étudiait aussi les mathématiques, et encore moins qu'il pouvait trouver à redire à ce que d'autres grands hommes avaient écrit et enseigné avant lui.  Le regard incrédule que je portai sur lui le fit sourire.
 Il poursuivit:
 - C'est élémentaire mon cher Watson, pour peu qu'on réfléchisse correctement à la question.
 - Je ne trouve pas d'erreur, dis-je, et ici, nous avons un discriminant qui est égal à b²-4ac, soit -4,
et il faut alors rendre la racine positive pour continuer de progresser.
 - Et comment s'y prend-on? dit Sherlock Holmes.    - Mais vous le savez aussi bien que moi, on pose i²=-1. Cela permet de positiver la racine.
 - Ce n'est pas vraiment ce que l'on fait; et, de plus, le concept n'est vraiment pas très propre. Mon ami marqua alors une pose avant de reprendre:
 - Ecoutez bien ceci. Lorsque nous avons -4 sous la racine, rien ne nous empêche de multiplier par 1.
Nous avons donc -4 = -4*(1).
 J'écoutais avec attention, me demandant où ses fantaisies allaient encore nous conduire, pendant qu'il continuait:
 - Maintenant, n'utilisons pas le concept i²=-1 qui est aussi faux que ridicule, mais un autre concept,
bien plus utile et vrai. Posons : 1=-i².
 - Mais c'est la même chose, dis-je.
 Holmes s'écria brutalement : - La même chose? Mais pas du tout, ce n'est pas DU TOUT la même chose, ni le même concept.
Je vous explique Watson, posons non plus, i²=-1, dont je viens de vous signaler la fausseté de concept,
mais que 1 est égal à la fois à -i² et à +i². Remplaçons donc -4 par (-4)*(1) et puisque selon notre nouvelle définition (1)=(-i²), nous obtenons la racine de (-4)(-i²), soit 4i², de là sortent deux racines qui sont -2-2i et -2+2i.
Je me levai pour aller le rejoindre à la fenêtre, et tout observant les va-et-vient de la chaussée, je protestais:
 - Cela revient à la même chose, dis-je. C'est un peu comme inventer le fil à couper le beurre. Cela n'avance à rien.  Holmes me regarda avec avec ce bon sourire assez caractéristique et me tapota l'épaule du bout de sa pipe.
 - Non, Watson. VOUS, vous dites que ça n'avance à rien.
R.H.