Un article de fond sur l'approvisionnement d'électricité en France et en Europe et les risques, réels, de pénurie.
Souvenons nous que l'hiver dernier, déjà, on est passés à deux doigts d'un black out.
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Risque de pénurie d’électricité en Europe et en France
22 septembre 2021 • Jacques Peter • Jean Fluchère
L’augmentation de 50% du prix de l’électricité depuis dix ans, et celle annoncée de 10% supplémentaire en 2022, est sévère pour de nombreux consommateurs et pour l’économie française. Avec la reprise économique de la fin de l’été, les marchés de l’électricité s'affolent, les prix prévus pour la fin de 2021 et 2022 approchant les 100€/MWh contre des moyennes comprises entre 40 et 60€ pour la décade 2010-2020. Un signal qui, au-delà de l’augmentation due aux coûts de certaines filières de production d’électricité (gaz, éolien, solaire), alerte sur un risque inconnu depuis 70 ans : la menace de pénurie d’électricité, tant en France que chez nos voisins européens. D'autant plus que cette augmentation des prix se produit alors que la production (PIB) des pays européens est encore inférieure à celle de 2019.
L’organisation des marchés en Europe a démontré qu’elle savait ajuster au jour le jour la demande d’électricité et les différentes sources de production. Une situation satisfaisante tant que les capacités de production et les besoins des clients restaient équlibrés. Mais, sur le marché concurrentiel actuel, les décisions d’investissements en renouvelables intermittents, solaire et éolien prioritaires sur le réseau résultent de garanties à des prix d’achat sur des durées de 15 à 20 ans. Les signaux prix du marché sensibles surtout à la conjoncture du court terme ne peuvent pas engager les différents producteurs de capacités pilotables (gaz, fuel, nucléaire) appelées à produire en dernier ressort à en construire de nouvelles, pourtant seules capables de répondre aux besoins en cas de pics de consommation et/ou de faible production des centrales intermittentes.
Lors de la pointe historique de 2012 qui a atteint 102 GW de puissance appelée à 19 h, nous disposions en capacités pilotables de 92GW, dont 59,5 de nucléaire, 14 d’hydraulique, 8 de gaz, 5 de charbon, 5,5 de fioul, 2 de biogaz, le complément ayant été assuré par 2,3 de l’éolien et 0 de solaire à 19h. La France avait pu faire face en appelant 7 GW d’importation, l’Allemagne disposant encore à l’époque d’un très important potentiel à base de charbon-lignite et d’électronucléaire.
Pour décembre 2021 et janvier 2022, notre capacité pilotable prévisible ne sera que de moins de 80 GW, le nucléaire, privé de Fessenheim, et dont les arrêts pour révision subissent encore et pour quelques années en raison de recalage du planning général des révisions, les conséquences des retards entraînés par les contraintes sanitaires de la période d’épidémie de coronavirus. A ceci s’ajoutent les révisions décennales accompagnées des opérations du grand carénage pour porter leur niveau de sûreté proche de celui des réacteurs de 3ème génération ainsi que les modifications post Fukushima.
Si tous les moyens mobilisables en service sont disponibles nous aurons en janvier 79 GW et plus probablement compte tenu de quelques indisponibilités 75 GW à comparer aux 90 GW que l’on peut attendre comme pointe d’appel à 19 h00 une journée d’hiver normal.
N’oublions pas que depuis 2014, le parc de production a perdu 10 GW de thermique à flammes et 1,8 GW de nucléaire avec la fermeture injustifiée de Fessenheim.
Pouvons-nous croire les bonnes paroles des présidents de RTE dont les affirmations rassurantes démentent les analyses de leurs ingénieurs ?
La pénurie aussi en Europe
Une récente étude de France Stratégie nous précise que l’Europe limitrophe de la France a programmé pour 2030 une réduction de 15% de ses capacités pilotables avec des étapes importantes. Le recours à l’importation devient donc problématique.
Il existe donc de fortes probabilités que des épisodes de périodes froides anticycloniques centrées sur la Scandinavie, donc accompagnées de peu de vent, entrainent dans un avenir proche sur toute l’Europe des pointes de demandes.
Alors chaque pays veillant d’abord à ses intérêts propres, la France confrontée à ses seuls potentiels, serait contrainte à la prise de mesures de restriction exceptionnelles sur la demande d’électricité, accompagnées de délestages tournants de grande ampleur pour éviter le black-out.
Les ménages et les entreprises ont été habitués dans notre pays à une sécurité électrique exemplaire. Le seul black-out connu remonte à décembre 1978. En témoigne le très petit nombre de groupes électrogènes de secours à base de diesel installés dans notre pays.
Comment réagirait l’opinion si elle était confrontée aux épreuves connues récemment par le Texas et la Californie où les coupures ont été causes de morts ?
La France veut-elle rejoindre le club des pays où les populations n’ont plus confiance dans le système électrique avec les conséquences que nous connaissons, par exemple le Venezuela et le Liban ?
Les causes du problème en France
Les décisions de fermeture de centrales, ainsi que les non-décisions de création sont en contradiction avec les projets d’électrification prévus par la transition énergétique. Le problème a bien été posé par le Haut-Commissaire au Plan François Bayrou :
« Si on considère que les émissions de gaz à effet de serre sont la question climatique principale, alors s’agissant d’électricité, on ne peut pas continuer avec l’idée qu’on peut faire ça et fermer des tranches nucléaires. » Des propos du Haut-commissaire au Plan, François Bayrou, prononcés mercredi 4 novembre lors d’une audition devant la Commission des affaires économiques du Sénat, qui viennent contrecarrer les engagements du gouvernement. « Pour moi (fermer des réacteurs, ndlr) c’est contradictoire. Le fait que nous en ayons fermé récemment a fait qu’on a été obligé de faire marcher des centrales à charbon. »
« Quant à l’Allemagne, c’est un contre-exemple », a ajouté le Haut-commissaire au Plan. »
Dans une étude récente, son bureau d’étude France-Stratégie mettait en évidence que la ressource d’énergie provenant de la biomasse avait un potentiel limité si l’on exploitait notre forêt avec responsabilité dans une perspective de très long terme. Si nous voulons nous émanciper des énergies fossiles, c’est donc bien principalement sur cette croissance du vecteur électrique que nous devons compter.
Dans une autre déclaration François Bayrou observait que les stratégies officielles prévoyaient d’ici 2050 une hausse de 35 à 50% de la consommation d’électricité, et manifestait une préférence personnelle pour 50%.
Ce devoir de lucidité qui est bien dans le rôle du Haut-Commissaire au plan n’a rencontré à ce jour de la part des différents cercles du pouvoir concernés qu’un silence assourdissant.
Plus grave, lors d’un dernier échange avec EDF, la ministre de l’écologie a éprouvé le besoin de notifier une décision au président d’EDF dans laquelle elle n’a trouvé qu’un seul commentaire au plan stratégique d’EDF : prévoir des fermetures anticipées de réacteurs en parfait état de marche, obsolètes ni techniquement, ni économiquement, bref rejouer le désastreux scénario de Fessenheim et ceci dès 2025 :
« Article 2
La société EDF transmettra au ministre en charge de l’énergie une mise à jour de son plan stratégique d’entreprise dans un délai de 6 mois à compter de la notification par le Gouvernement de la décision d’arrêter deux réacteurs nucléaires supplémentaires en 2025 et 2026, le cas échéant. »
Barbara Pompili a repris la stratégie des 8 derniers ministres de l’écologie, fermer, et encore fermer des centrales de production d’électricité. D’où un commentaire récent d’un bon observateur de l’économie : « En France, actuellement, il est plus facile de fermer une usine que d’en créer une. » (A Fessenheim, malgré un grand nombre de promesses de divers politiques, les habitants ne voient toujours pas venir de nouveaux projets industriels). Rappelons que les premiers mots de Nicolas Hulot prenant ses fonctions ont été de dire qu’il fallait prévoir la fermeture de 14 réacteurs.
Cette position s’appuie sur des scénarios étudiés par RTE et l’ADEME inspirés par les idéologies de la décroissance de la mouvance Négawatt tentant de contenir les besoins électriques. Les diverses expertises dont celles des Académies des Technologies et des Sciences et les déclarations du président d’EDF insistent sur la très forte croissance à prévoir d’ici 2050 pour la consommation électrique.
Comment cela ne peut-il pas être le cas quand on sait qu’aujourd’hui la France consomme 90 Mtep d’énergies finales en combustibles carbonés qu’il faudra remplacer par de l’électricité bas carbone. Or 90 Mtep représentent plus de 1000 TWh à ajouter aux 480 consommés en 2019. Il y aura bien sûr des économies d’énergie et des gains d’efficacité mais diviser par 2 ces 1000 TWh serait une prouesse, surtout si le projet indispensable de réindustrialiser le pays se réalise.
Comment convaincre les ménages et les entreprises de s’équiper pour électrifier leurs usages et les investisseurs de participer à une réindustrialisation, notamment à base d’industries électro-intensives s’ils constatent dans les années à venir que notre système électrique perd sa réputation de fiabilité ?
Puissance maximum vs. Production réelle
Face à des besoins prévus, il ne s’agit pas seulement de prévoir des moyens de production, mais de résonner aussi en productions garanties. Très souvent l’inauguration d’une unité de production solaire ou éolienne est accompagnée du discours suivant : « Cette installation produira …..kWh/an et pourra alimenter une ville de ….habitants ».
Pour ne prendre que l’exemple d’une ferme solaire à proximité de Nice, région où le soleil est généreux, la production sera certes à peu près synchrone l’été avec les besoins de climatisation, mais aux abonnés absents les soirées et en hiver, or on se chauffe aussi sur la côte d’Azur. Elle a donc besoin que quelque part en France une centrale pilotable puisse assurer son relai quand il n’y a pas de soleil.
Chaque fois que, particulier ou entreprise, nous souscrivons un abonnement avec un fournisseur, nous attendons de celui-ci d’abord une puissance garantie avant de prévoir une consommation. Or aujourd’hui, les potentialités réalistes des stockages opérationnels sont de 0,1TWh pour les STEP, alors que la consommation d’une journée d’hiver est de 1,5 TWh. Donc seuls des moyens de production pilotables, nucléaire, hydraulique, centrales thermiques, sont capables d’assurer cette puissance garantie.
Conclusion : il est temps de décider
Les infrastructures de l’énergie se planifient dans un temps long. Si la France veut être au rendez-vous de ses obligations tant en 2030 qu’en 2050, nos responsables doivent quitter la période de procrastination des deux derniers quinquennats :
Dans le court terme, nous allons devoir accompagner les capacités existantes, et en projet, de solaire et d’éolien par des centrales au gaz assurant leur back-up.
Sur leur lancée, les renouvelables intermittents assureront bientôt 15% du mix électrique. Achetées hélas très cher, (128Mds d’€ ont été engagés pour les contrats signés jusqu’à fin 2017, selon la Cour des Comptes), ces unités ont maintenant un coût marginal de production pratiquement nul. Pour bénéficier de leur pleine efficacité de production décarbonée, nous devons tirer les leçons de l’expérience allemande. En se mobilisant pour gagner auprès du Président Biden la bataille de la finalisation du projet de gazoduc Nord Stream 2, nos voisins ont fait preuve de pragmatisme ; ils ont décidé de remplacer leurs centrales au charbon par des centrales au gaz. Pour faire face aux besoins croissants d’électricité mieux vaut un système électrique un peu moins pur sur le plan des émissions, passant sans doute en France de 40gCO2/KWh à 50 ou 60, (Contre 350 pour l’Allemagne), mais puissant, à une conception de pure vertu impuissante.
Lancer dès maintenant la construction d’une capacité garantie suffisante de centrales au gaz, dont les délais de construction sont moins longs, notamment sur les sites de centrales au charbon condamnées, est la seule solution opérationnelle permettant à notre pays de passer la période 2022- 2036. Il faudra l’expliquer à l’opinion.
Pousser tout le parc nucléaire historique au maximum de sa durée d’exploitation permise par l’ASN. Ne plus parler de fermetures.
Donc donner à EDF une visibilité permettant à cette entreprise de planifier les grandes révisions du grand carénage amenant tout le parc historique à une durée de vie d’au moins 60 ans, donc renoncer à toute fermeture idéologique.
Comme l’Amérique lancer une étude sur des durées de vie dépassant 60 ans.
Pour des centrales de même famille que les nôtres, les américains ont choisi avec pragmatisme après examen du très bon vieillissement des matériaux de prolonger jusqu’à 80 ans la durée de production de leurs centrales nucléaires, bénéficiant ainsi des meilleurs prix de revient obtenus par des installations en grande partie amorties. (Les sous-traitants de Boeing payent leur électricité deux fois moins cher que ceux d’Airbus.
Une étude objective sur ce sujet devrait être demandée par le gouvernement à l’ASN, l’IRSN et l’exploitant EDF.
Décider la construction de trois paires d’EPR, tête d’une nouvelle série.
EDF a présenté cette année au gouvernement un projet de construction de 6 EPR qui pourraient être mis en service entre 2036 et 2040. Les prévisions de leur prix de revient et des prix de marché sont compatibles. Comme l’a démontré l’épisode du confinement pour les sportifs, il n’y a pas de pire management que de condamner à ne pas faire jouer une équipe entrainée et mobilisée pour réussir un challenge sans aucune perspective crédible d’avenir.
Conclusion
Pour peu que les politiques sachent décider, ce qui est leur responsabilité, les ingénieurs français ont déjà démontré que leur collectivité sait réussir de grands projets. Ils sont prêts à contribuer à la réussite de la transition énergétique de la France.
https://www.ifrap.org/agriculture-et-energie/risque-de-penurie-delectricite-en-europe-et-en-france