Pourquoi donc la gauche a-t-elle renoncé au progrès économique pour ses électeurs potentiels ?

Liste des GroupesRevenir à fs politique 
Sujet : Pourquoi donc la gauche a-t-elle renoncé au progrès économique pour ses électeurs potentiels ?
De : Pancho42 (at) *nospam* free.fr (Canta Galet)
Groupes : fr.soc.politique
Date : 14. Jul 2024, 20:24:18
Autres entêtes
Organisation : Nemoweb
Message-ID : <dLhx4iFmCzU5UsKuT6amQnYqvfQ@jntp>
User-Agent : Nemo/0.999a
Thomas Piketty a raison : ne nous attardons pas trop sur les détails du programme économique du Nouveau Front populaire (NFP), mais jugeons l’effort global. Je ne regarde ici que l’aspect fiscalité sur le capital et sur les super-riches ; j’essaie de juger sans a priori. Transparence : je vote aux deux tours pour ma députée sortante PS contre le RN. Je viens de publier sur ce site une critique du programme du RN.
En résumé, un NFP au pouvoir ne collecterait que très peu des taxes envisagées sur le capital et les super-riches, même avec leur projet d’exit tax.
La pétition de 300 économistes en faveur du NFP (dont 10 de renommée européenne ou mondiale) est très claire : « les financements envisagés (…) reposent principalement sur des mesures fiscales concentrées sur les très hauts revenus et les très hauts patrimoines ».
Le NFP s’engage aussi à ce que les déficits publics baissent. Les impôts prévus par le NFP sur le grand capital et les super-riches sont censés rapporter 100 milliards d’euros (3,6 % du PIB) par an d’ici 2026. C’est 2/3 des dépenses supplémentaires annuelles prévues d’ici 2026 par le NFP (+150 milliards d’euros, i.e. +5,3 % du PIB). +5,3 % du PIB, c’est énorme et inédit en temps de paix en Europe : ce point aurait dû susciter doute et prudence, alors même que la France détient déjà le record d’Europe des dépenses publiques.
Ici, ni morale ni parti pris politique : regardons crûment les faits et concentrons-nous sur leur projet de taxation des riches et du grand capital. Nos 300 économistes seront très déçus, ils ne taxeront que très peu. Pourquoi ?
Le capital peut fuir en quelques minutes
Premièrement, le grand capital est très mobile et partira très vite. Dans l’Europe intégrée d’aujourd’hui, il n’y a plus de barrière entre la France et le reste de l’UE. Le principe de l’UE est la liberté complète de mouvement des facteurs de production entre pays : biens, services, personnes et capital peuvent bouger librement et sans coût de la France vers le reste de l’UE. C’est dans l’ADN du projet européen depuis 1950, cher aux sociaux-démocrates et aux écologistes européens. Nos 300 économistes sous-estiment la grande facilité pratique pour délocaliser le capital aujourd’hui. Pour les actifs financiers (principal investissement des ultra-riches), il faut quelques minutes sur les marchés. Il suffit de quelques jours pour domicilier une entreprise depuis la France vers le reste de l’UE (Luxembourg notamment) : j’ai vérifié avec des avocats d’affaire. Depuis 2017 et la possible victoire de Le Pen, les grandes entreprises françaises ont bâti des plans d’éventuelle domiciliation hors de France : tout est prêt. Vu l’ampleur de la taxation du capital promise par le NFP, leurs plans sont prêts à s’activer.
Juridiquement ce sera facile et rapide : quelques signatures électroniques en vidéo avec les avocats. Il suffira alors d’envoyer travailler à l’étranger quelques personnes de la Direction générale. La totalité des entreprises du CAC 40 ayant des filiales à l’étranger, ce sera encore plus facile de domicilier leur siège là-bas. Les dividendes seront alors payés et taxés à l’étranger : la surtaxation NFP des profits rapportera epsilon.
Les profits sont également mobiles…
En outre, le NFP commet l’erreur de croire les profits du CAC 40 (146 milliards euros) comme « revenant à la France ». Or, les entreprises du CAC 40 sont extrêmement internationalisées ; l’essentiel de leurs profits vient de leurs opérations à l’étranger (LVMH, Hermès, Schneider, CGA-CGM, L’Oréal, Air Liquide, ArcelorMittal, Kering, Total, STM, SANOFI, Stellantis). Schneider Electric n’a en France que 10 % de ses activités. De droit, un gouvernement français ne peut pas taxer tous leurs profits. Par ailleurs, certaines des sociétés du CAC 40 sont déjà domiciliées aux Benelux (Belgique, Pays-Bas, Luxembourg) : elles ne dépendent déjà plus de la France et sont non-taxables par la France (hormis l’IS sur leurs bénéfices locaux).
Prenons l’armateur CMA-CGM, (25 milliards euros de bénéfices en 2022 − les plus élevés de France) dont le siège est à Marseille. Son principal actif : ses centaines de bateaux qui voguent en haute mer (i.e. hors juridiction française), non-taxables. Ne restent en France, à son siège, que quelques bureaux, qui peuvent bouger en quelques jours vers des paradis fiscaux européens (Chypre, Pays-Bas, Malte, Irlande). Les bénéfices de CMA-CGM sont littéralement impossibles à taxer ; c’est peut-être injuste, mais la France seule n’y peut rien. Le seul impact du projet NFP sur CMA-CGM : celle-ci renoncerait à subventionner le club local, l’Olympique de Marseille. Même la gauche radicale de Syriza, au plus profond de la crise grecque, a renoncé à taxer les armateurs grecs.
Pire pour la France, une fois délocalisées à l’étranger, ces entreprises ne paieront plus beaucoup l’Impôt sur les Sociétés (IS) en France. Les plans du NFP non seulement ne rapporteraient aucun argent nouveau à l’Etat, mais ils risquent de réduire les recettes fiscales actuelles.
…et les ménages riches, n’en parlons pas
Deuxièmement, l’autre grand projet fiscal du NFP : augmenter la taxation du capital détenu par les quelques ménages ultra-riches, les 378 milliardaires français selon l’économiste Gabriel Zucman, soutien du NFP, ou selon l’IPP, les 0,001 % ou 0,001 % des ménages les plus riches. Ici encore, c’est une illusion. Ces quelques centaines de ménages iront tout de suite se domicilier fiscalement à l’étranger (UE, R-U, Suisse ou Etats-Unis) : le droit le permet. Il leur suffira de passer en France moins de six mois par an. Or ils passent déjà beaucoup de temps à l’étranger (vacances, affaires). Ils (ou leurs avocats) ont déjà lu le programme du NFP et ont déjà préparé l’exil fiscal. Résultat : tous les projets NFP de taxation des super-riches ne rapporteront presque rien. Pire, les impôts que ces ménages payent déjà en France s’évaporeront. Il ne restera plus au NFP que de taxer les classes moyennes supérieures, ayant un salaire au-delà de 4 000 euros (ce qui inclut les professeurs d’université).
Troisièmement, les économistes (cf. Zucman) du NFP pensent avoir la réponse : une « exit tax » imposée aux ultrariches qui voudraient se délocaliser, votée le 4 août 2024. Cette exit tax du NFP est censée ponctionner tellement les ultra-riches qu’ils renonceraient à partir, ou alors en payant énormément. Est-ce possible ? Une exit tax exista en France de 2012 à 2018. Elle ne rapporta que 80 millions euros par an, car elle avait un énorme trou : les ménages qui se délocalisaient vers l’UE ne payaient pas cette exit tax à la sortie de France, mais seulement lorsqu’ils avaient revendu leur capital à l’étranger. En outre la somme à payer se réduisait dans le temps, pour devenir nulle à partir de huit ans. Ainsi les revenus de cette exit tax furent minuscules.
Les 300 économistes nous disent qu’ils feront sauter ce trou fiscal. Problème : cette niche s’est imposée à la France via le droit européen, au regard des libertés fondamentales de l’UE et de la liberté de circulation des capitaux et des personnes. Ce sera pareil avec l’exit tax de G. Zucman : aux niveaux envisagés, elle ne collectera que des queues de cerises, à moins que la France n’impose une frontière hermétique. En pratique, c’est juste impossible.
Quatrièmement, toutes ces remarques s’appliquent aussi aux autres projets du NFP de taxation des super-riches (héritage, taux marginal de l’IR à 90 % selon Manon Aubry – Thomas Piketty dans sa recherche académique propose un taux marginal de taxation du revenu de 80 % –, nouvelle taxe Tobin…). Le NFP veut collecter 30 milliards d’euros à court terme et 100 milliards d’euros en 2026 en taxant les riches et le capital : il n’en récoltera presque rien.
Des déficits de 10 % du PIB
Les hauts revenus subissent déjà des prélèvements obligatoires (PO) élevés (64 % selon le simulateur de l’Urssaf) ; idem pour les dividendes (47,5 %). Il est dommage que le NFP n’ait pas juste promis d’enlever toutes les niches fiscales sur les impôts déjà existants. Il a préféré la solution de la gauche radicale ; il ne prélèvera rien.
Le programme du NFP, si appliqué, entraînerait des déficits proches de 10 % du PIB, la récession (qui investira encore en France ?), la crise budgétaire, puis la crise financière, enfin l’austérité profonde : le NFP devrait alors couper à la hache dans les dépenses publiques et augmenter beaucoup la TVA et la CSG. La tentation grecque n’est pas loin. En 2027, les électeurs populaires iraient alors voter massivement Le Pen dès le premier tour. Notons que Syriza s’est effondré électoralement depuis son passage au pouvoir (2015-2019) avec un programme analogue à celui du NFP.
Quel entrepreneur, quel innovateur, quelle start-up envisagerait de se développer en France, avec un tel fardeau fiscal ? Ils prendront le TGV vers le Benelux, la Suisse, Londres ou Berlin. Idem pour nos médecins, cadres supérieurs ou ingénieurs. Il est curieux que nos 300 économistes ne parlent jamais d’incitations, d’innovations et d’entreprenariat.
Pourquoi cette marche aveugle du NFP au précipice ? Car le socialisme dans un seul pays n’a jamais marché. Au contraire, la France de 2024 est ouverte à tous les mouvements de capitaux et de personnes ; elle est aussi voisine de pays à faible taxation (Suisse, Benelux). Même si les dindes sont riches, elles n’aiment pas Noël. Les jugements moraux n’y peuvent rien.
Au-delà du programme 2024, il est temps pour la gauche française de comprendre que les classes populaires (ouvriers et employés, 40 % des actifs) sont repoussées par le décroissantisme revendiqué par la gauche. Si la gauche n’a rien d’autre à proposer au peuple et à ses enfants qu’un appauvrissement permanent et cumulatif, pas étonnant que les prolétaires votent pour le RN. Pourquoi donc la gauche a-t-elle renoncé au progrès économique pour ses électeurs potentiels ?
Par Jacques Delpla

Date Sujet#  Auteur
8 Sep 24 o 

Haut de la page

Les messages affichés proviennent d'usenet.

NewsPortal