"Trop dangereux pour être ignoré". Les activités malveillantes russe contre
les Etats baltes, vont mettre à l'épreuve la détermination de l'OTAN.
https://kyivindependent.com/too-dangerous-to-ignore-russias-malicious-activity-in-the-baltics-set-to-test-nato-resolve/[Article du Kyiv Independent, publié par Chris York, 17/09/2024, 16:39]
"Les services secrets russes sont partout. Et leur propagande est partout,
pas seulement en Estonie mais dans le monde entier", a déclaré le président
estonien, Alar Karis, au Kyiv Independent, lors d'une interview, en marge
de la 20ème Conférence annuelle sur la stratégie européenne de Yalta
[Yalta European Strategy, ou YES], qui se tient actuellement à Kyiv.
La Russie s'ingère activement dans les affaires intérieures des trois Etats
baltes, des pays devenus souverains et indépendants, qui ne font plus
parties de la Russie, depuis 1991.
Un professeur estonien, soupçonné d'être un espion russe, a été arrêté
par le service de sécurité intérieure estonien [Internal Security Service,
ISS ou "Kapo"], en janvier 2024, puis condamné à six ans de prison.
Entre-temps, Moscou a également fait monter la tension en Mer Baltique.
Le brouillage du GPS des avions de ligne civils, la disparition de bouées
sur le fleuve Narva, servant de frontière "maritime" avec la Russie,
une tentative de "prise d'océans" avortée dans les eaux internationales
de la Mer Baltique, dans le Golfe de Finlande, entre l'Estonie et la Finlande,
ne sont que quelques-uns des événements récents qui suscitent des
inquiétudes quant aux intentions du Kremlin dans la région.
https://ichef.bbci.co.uk/news/1024/cpsprodpb/B70B/production/_131795864_estonia_russia_border.2.png.webp"Les choses reviennent à la surface de manière très spectaculaire en ce
moment", déclare Elisabeth Braw, Senior Fellow à l'Atlantic Council,
au Kyiv Independent.
Tester la réaction de l'UE et de l'OTAN, en Mer Baltique -
Un "projet de décret" publié sur le site web du Kremlin, le 21 mai 2024,
déclarait que la Russie redessinerait unilatéralement la frontière maritime
avec la Lituanie et la Finlande, dans la Mer Baltique.
Puis, aussi rapidement qu'il était apparu, le "projet de décret" du Kremlin
a disparu du sites web officiel du Kremlin, le lendemain 22 mai 2024.
Le Kremlin n'a pas expliqué publiquement pourquoi son "Projet" a été
retiré de son site web, mais le Ministre lituanien des Affaires étrangères,
Gabrielius Landsbergis, l'a qualifié d'"escalade russe évidente contre
l'OTAN et contre l'UE".
https://en.wikipedia.org/wiki/Gabrielius_Landsbergishttps://assets.kyivindependent.com/content/images/2024/09/IMG_7157-2.webpUn jour après la disparition du "Projet" de décret du Kremlin, le 23 mai 2024,
les bouées frontalières sur le fleuve Narva, qui marquent la séparation des
territoires russe et estonien, ont également disparu.
La Russie et l'Estonie s'étaient mis d'accord sur l'emplacement des bouées
frontière en 2022, mais le Kremlin a ensuite fait marche arrière et contesté
l'emplacement de plus de la moitié des 250 bouées balises, que les gardes
frontières russes ont commencé à retirer unilatéralement le 23 mai 2024,
sans fournir d'explication.
La Première ministre estonienne, Kaja Kallas, a parlé d'un "incident frontalier"
et a déclaré qu'une enquête était en cours.
"On assiste à de nombreux changements dans les Etats baltes. Nous
essayons de convaincre nos concitoyens de dépenser davantage pour
la défense, de construire des usines, de coopérer davantage avec l'Ukraine
et d'apprendre tout ce que nous pouvons, car nous pensons que si l'Ukraine
n'est pas capable d'arrêter les Russes, alors les Russes ne s'arrêteront pas,
nous sommes les suivants sur la liste des appétis impérialistes du dictateur
russe, qui sait ce qui se passera ensuite", a déclaré le Ministre lituanien des
Affaires étrangères, Gabrielius Landsbergis, lors d'une interview exclusive
accordée au Kyiv Independent.
Le Ministre letton de la Défense partageait la même inquiétude.
"Nous nous trouvons actuellement dans un conflit hybride", a déclaré
Andris Spruds, au Kyiv Independent, le 23 août 2024.
"Malheureusement, c'est le voisin russe auquel nous sommes confrontés
[depuis notre indépendance de la Russie, en 1991]", a-t-il ajouté.
Signal de brouillage des GPS de l'aviation commerciale internationale -
La Russie est soupçonnée de brouiller intentionnellement les systèmes
GPS à bord des avions de ligne commerciaux, depuis plus de dix ans,
mais la fréquence des incidents de ce genre, au-dessus de Mer Baltique
et des Etats baltiques, sont montés en flèche ces derniers mois.
Selon un rapport publié par The Sun, en avril 2024, et basé sur des données
du site web GPSJAM.org, quelque 46,000 vols ont signalé des problèmes
au-dessus de la Mer Baltique, depuis le mois d'août 2023, la plupart
d'entre eux se produisant en Europe de l'Est, à proximité des frontières
avec la Russie.
Certains incidents ont obligé les avions à faire demi-tour en plein vol,
et même un avion de transport VIP britannique de la Royal Air Force,
transportant le Ministre britannique de la Défense de l'époque, Grant
Shaps, sous l'ancienne administration du PM britannique Rishi Sunak,
a été pris pour cible.
Décrivant le phénomène, au début de l'année 2024, Landsbergis a déclaré
qu'il devenait "trop dangereux pour être ignoré".
Bien qu'il soit presque impossible de prouver avec certitude qui est
responsable du brouillage du GPS de l'aviation civile, un brouilleur bloque
un signal à partir du point où il est déployé, jusqu'à une distance de 350km,
pour certains modèles de brouilleur de qualité militaire.
https://assets.kyivindependent.com/content/images/2024/09/GettyImages-1241362288.webpCela signifie que pour bloquer les signaux GPS au-dessus de la Mer Baltique,
le brouilleur devrait être situé dans l'un des pays qui l'entourent. A moins
que les pays de l'OTAN ne se livrent à un "auto-sabotage", il ne reste
qu'un seul suspect évident: la Russie.
Les Etats baltes ont également lutté activement contre toute une série
d'autres attaques, y compris cybernétiques.
"Nous sommes préparés aux cyberattaques russes depuis longtemps,
car elles ont commencé en 2007. Nous commençons également
à convaincre les parties occidentales qu'il s'agit d'une question très
importante", a déclaré le président estonien Karis, au Kyiv Independent.
Intentions militaires russes -
En mai 2024, le nouveau 32ème membre de l'OTAN, la Suède, a lancé
un avertissement inquiétant.
Micael Byden, commandant suprême des forces armées suédoises,
a déclaré que Poutine pourrait chercher à dominer la Mer Baltique
et avoir des vues sur l'île suédoise de Gotland.
Située à environ 330km au nord de l'enclave russe de Kaliningrad, l'île de
Gotland est la plus grande île de Suède et sa position centrale lui confère
une importance stratégique vitale en Mer Baltique.
"Qui contrôle Gotland contrôle la Mer Baltique", a déclaré Micael Byden.
Les exercices militaires "Steadfast Defender 2024" [STDE24 ou SD24]
de l'OTAN en Mer Noire au mois de juin 2024, ont rappelé à quel point
les choses ont changé en peu de temps. Vingt Etats membres de l'OTAN,
dont la Suède et la Finlande, qui se sont joints récemment à l'OTAN, ont
envoyé 9,000 soldats, 50 navires et 45 avions pour participer à STDE24.
https://en.wikipedia.org/wiki/Steadfast_Defender_2024Quels sont les atouts de la Russie dans la région? -
La Russie dispose d'un accès direct à la Mer Baltique par son bras le plus
orientale, le golfe de Finlande et Saint-Petersburg. Elle possède également
l'"exclave de Kaliningrad", un petit morceau de terre conquis à l'Allemagne
nazie en mars-avril 1945, et aujourd'hui "coincé" entre Pologne et Lituanie,
deux pays membres de l'OTAN.
La flotte russe de la Mer Baltique a son QG et sa base navale principale
à Saint-Petersburg [ex-Kaliningrad], ainsi que deux autres bases navales
secondaires, à Baltiysk et Kronstadt.
https://en.wikipedia.org/wiki/Baltic_FleetLes analystes occidentaux ont décrit la taille et la puissance de la Flotte
russe de la Mer Baltique comme étant "quelque peu limitées". Lorsque
la Russie a organisé des exercices militaires en Mer Baltique, en août
2023, une trentaine de navires de guerre devaient y participer, selon
le Ministère russe de la Défense (MoD-RU).
Mais ce n'est pas tout ce que la Russie possède à Kaliningrad.
"Kaliningrad est essentiellement un dépôt d'armes russe et dispose
d'un grand nombre d'équipements militairement opérationnels utilisés,
et pas seulement stockés", a déclaré Braw.
Selon un article publié en décembre 2023, par la Fondation Carnegie pour
la paix internationale [Carnegie Endowment for International Peace, CEIP]
la Russie a accumulé ces dernières années dans l'exclave un "formidable"
arsenal d'armes comprenant "des missiles de croisière, des missiles sol-air,
et des armes nucléaires".
Que se passe-t-il donc en Mer Baltique? -
Sans ligne directe avec le Kremlin, il est impossible de le savoir avec
certitude, et les avis des experts varient entre une escalade de la guerre
hybride et une intention russe manifeste d'envahir les Etats baltes
[Estonie, Lettonie et Lituanie].
Les hauts fonctionnaires de ces trois pays sont parfaitement conscients
de cette éventualité.
"Si l'on additionne le nombre de troupes, de missiles, de chars et d'argent,
la Russie est loin d'avoir la puissance qu'elle avait à l'époque de l'URSS,
lorsqu'elle pouvait rivaliser avec l'OTAN", a déclaré Landsbergis, au Kyiv
Independent.
"Dans des scénarios militaires réels, elle est incomparable. L'OTAN
pourrait submerger la Russie.
"Mais les Russes ne comptent pas là-dessus. Ils comptent, comme ils se
l'expliquent à eux-mêmes, sur la faiblesse démocratique, l'incapacité
à prendre des décisions, les divergences d'opinion", a-t-il ajouté.
Tout au long de 2024, les responsables occidentaux et de l'OTAN ont tiré
la sonnette d'alarme, sur les ambitions expansionnistes et impérialistes
de la Russie, au-delà de l'Ukraine.
Le 9 février 2024, le Ministre danois de la Défense, Troels Lund Poulsen,
a déclaré que la Russie pourrait attaquer un pays de l'OTAN "dans un délai
de trois à cinq ans".
Un jour plus tard, un général allemand de haut rang a déclaré que
l'Allemagne devait se préparer à une guerre contre la Russie, dans les cinq
prochaines années. Le même mois, un haut fonctionnaire estonien
a déclaré au Financial Times (FT) que "l'intention et la capacité" de la Russie
d'attaquer un pays de l'OTAN avant la fin de la décennie faisaient "l'objet
d'un consensus" au sein de l'Alliance militaire.
Si cette affirmation est exacte, une simple question de géographie place
les Etats baltes dans la ligne de mire de ces scénarios futurs.
https://assets.kyivindependent.com/content/images/2024/09/GettyImages-1241249773.webphttps://assets.kyivindependent.com/content/images/2024/09/GettyImages-2156596070.webpSi, sur le papier, l'OTAN est bien plus puissante que la Russie, Jan Kallberg,
chercheur au Center for European Policy Analysis [Washington DC] et au
Army Cyber Institute [West Point], estime que le Kremlin pourrait compter
sur une réponse inefficace et incohérente de la part du bloc militaire,
pour compenser cette situation.
Ils pensent peut-être que les dirigeants occidentaux ne sont pas assez forts
pour résister lorsque les choses se gâtent" explique-t-il au Kyiv Independent,
avant d'ajouter: "ls pensent peut-être qu'ils peuvent agir de manière plus
efficace et plus cohérente que les Occidentaux, et que l'Occident n'aura pas
le temps de générer des forces dans la région, et qu'ils peuvent, avec peu
de moyens, s'emparer des pays baltes et mettre l'Occident devant le fait
accompli".
"Leur pari est que les dirigeants occidentaux céderont", a déclaré Kallberg.
Deux jours après l'intervention de Kallberg au Kyiv Independent, un groupe
de réflexion russe ayant une grande influence sur la politique du Kremlin
a déclaré que Moscou devrait envisager une explosion nucléaire
"démonstrative" pour dissuader l'Occident de permettre l'utilisation
de ses armes pour frapper à l'intérieur de la Russie.
Selon certains responsables occidentaux, un tel scénario nucléaire suffit
déjà à inquiéter les Etats-Unis, au point que Washington a pris des mesures
préventives pour l'empêcher.
"La Russie sait très bien qu'elle n'est pas la seule puissance nucléaire
en Europe et dans le monde. Je ne pense pas que nous allons tester
une attaque nucléaire contre un quelconque pays occidentalé",
a toutefois déclaré le président estonien Karis.
Le Ministre letton des Affaires étrangères, Spruds, est également mesuré
dans son évaluation, déclarant que pour la Lettonie et les autres Etats
baltes, ce n'est "pas nouveau pour nous".
"Pour nous, il n'y a pas lieu de paniquer car nous sommes habitués aux
activités hybrides et aux menaces russes depuis des dizaines d'années",
a-t-il ajouté: "Il s'agit de cyberattaques, de la militarisation de
l'immigration clandestine, de campagnes de désinformation et de certains
incidents contre des infrastructures critiques.
"Nous l'avons donc vu et nous en faisons l'expérience en permanence".
La Russie veut-elle la guerre dans la région de la Mer Baltique ? -
Aussi alarmante que soit la perspective de nouvelles invasions russes
en Europe, d'assauts navals et d'explosions nucléaires "démonstratives",
Elizabeth Braw met en garde contre la tentation de chercher des signes
flagrants d'agression militaire.
"Franchement, je ne pense pas que la prise de contrôle des Etats baltes
soit le premier objectif de la Russie.
"Si vous envahissez un pays, si vous le brisez, vous le possédez,
l'occupation et l'administration d'un territoire occupé sont extrêmement
difficiles, comme la Russie le constate actuellement en Ukraine. Je pense
que les affaiblir, les déstabiliser et en faire à bien des égards des Etats
en faillite est davantage ce que veut la Russie", a ajouté Mme Braw.
Mme Braw cite des exemples tels que le brouillage du GPS et la disparition
mystérieuse des décrets russes sur les frontières maritimes, qui visent
à faire perdre du temps et des ressources aux gouvernements des Etats
baltes, et à les rendre incertains quant à la suite des événements.
https://assets.kyivindependent.com/content/images/2024/09/GettyImages-2162290818.webpL'objectif de la Russie est de créer un sentiment de paranoïa et d'infériorité
qui vous amènera à dire: "Nous devons vivre avec une grande influence
russe dans la région", a-t-elle ajouté.
Mme Braw souligne également que l'OTAN ne peut pas faire grand-chose
dans ce domaine, car elle n'a été créée que pour répondre à une agression
militaire ouverte.
"Les Russes ont déjà fait preuve d'imagination, c'est ce qu'ils savent faire",
a-t-elle déclaré.
"Ils imaginent différents moyens de nuire à d'autres pays, d'atteindre leurs
objectifs, et ils le font sous le seuil de l'article 5, ce qui signifie que les pays
touchés ont du mal à réagir.
Kallberg convient que si la situation en Mer Baltique s'aggrave encore,
la prochaine étape ne sera pas une déclaration de guerre pure et simple,
mais une action russes destinée à "tester la réponse de l'OTAN".
"Pour nous, il est très important de maintenir ce lien transatlantique.
En ce qui concerne la défense, les Etats-Unis devraient être le numéro
un dans ce cas", a déclaré le président estonien, Alar Karis.
Auteur de l'article: Chris York. Rédacteur en chef.
Chris York est rédacteur en chef au Kyiv Independent. Avant de rejoindre
l'équipe, il était responsable de l'information au Kyiv Post. Auparavant,
de retour en Grande-Bretagne, il a travaillé pendant près de dix ans pour
le HuffPost UK. Il est titulaire d'une maîtrise en conflits, développement
et sécurité de l'université de Leeds, en Angleterre.
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…