Pourquoi la Russie continue de gagner de l'argent en transportant du gaz
à travers l'Ukraine: 4 graphiques clés.
https://kyivindependent.com/why-russia-still-rakes-in-cash-transporting-gas-through-ukraine-what-to-know-in-4-key-charts/[Article du Kyiv Independent, publié par Andrea Januta et Danylo Nosov,
17/09/2024, 18:18]
Alors que la guerre meurtrière menée par la Russie fait rage sur le sol
ukrainien, un paradoxe et un effet inattendu de l'invasion russe est que
le gaz naturel russe continue de transiter par l'Ukraine, les deux parties
profitant de l'accord et finançant, dans une certaine mesure,
leurs machines de guerre respectives.
Cette situation devrait changer lorsque l'accord gazier russo-ukrainien
de 2019, expirera à la fin de l'année 2024.
La Russie paie à l'Ukraine des frais de transport pour acheminer son gaz
à travers des milliers de kilomètres de gazoducs ukrainiens souterrains,
dans le cadre d'un accord conclu en 2019, entre les deux pays. La Russie
engrange ensuite des milliards de dollars de bénéfices en vendant le gaz
russe à ses partenaires européens, via l'Ukraine.
Bien que l'Ukraine ait eu le droit d'interrompre son accord gazier en
invoquant une clause de "force majeure" lorsque la guerre d'invasion russe
a éclaté, et de priver la Russie de milliards de dollars de financement pour
sa guerre d'invasion, cela aurait "gravement nui" aux alliés de l'Ukraine et
aurait probablement créé "une crise énergétique majeure ressentie dans
le monde entier".
Au lieu de cela, l'Ukraine a fait savoir à ses partenaires qu'elle ne prévoyait
pas de renouveler l'accord gazier russo-ukrainien, après son expiration fin
2024, ce qui leur donne le temps de trouver et de négocier d'autres sources
d'énergie. Elle s'efforce également de conclure un accord séparé pour
utiliser son réseau de gazoducs afin d'acheminer du gaz d'Azerbaidjann
un allié traditionnel du Kremlin en Asie mineure, vers l'Europe.
De nombreux pays européens ont déjà fortement réduit leur dépendance
vis-à-vis du "gaz russe", en raison de la guerre d'invasion russe en Ukraine,
mais la région continue d'importer des volumes importants de gaz russe
pour répondre à ses besoins énergétiques.
L'accord sur le gaz et ses vulnérabilités sont revenus sur le devant de
la scène à la suite de l'invasion ukrainienne de Kursk, le dernier point
frontalier par lequel le gaz russe pénètre en Ukraine et le site d'une
station russe de duistribution gazière essentielle, dans la ville russe
de Sudzha, à 10km de la frontière ukrainienne. Sudzha a été "nettoyée"
et est tombée au main de l'Armée ukrainienne le 9 août 2024.
Comment fonctionne l'accord gazier russo-ukrainien de 2019? -
La Russie et l'Ukraine gagnent toutes deux de l'argent grâce à cet accord,
même si les revenus de la Russie provenant de la vente de gaz à l'Europe
dépassent de loin les revenus de l'Ukraine provenant des frais de transport
du gaz russe sur son territoire.
https://assets.kyivindependent.com/content/images/2024/09/Website-4--1-.webpL'ancien directeur de l'opérateur du gazoduc ukrainien, GTS Operator,
estime que la Russie gagne environ 5 milliards de dollars par an grâce
à cet accord, tandis que l'Ukraine recevra 800 millions de dollars en 2023.
L'ancien directeur de GTS-Op, Serhii Makohon, a ajouté que la majeure
partie de ces 800 millions de dollars était consacrée à l'entretien et
à l'exploitation du transit, ce qui laissait environ 100 à 200 millions
de dollars de recettes pour le budget de l'Ukraine. Bloomberg a estimé
les revenus de la Russie à 6.5 milliards de dollars par an.
L'accord initial garantissait 7 milliards de dollars à l'Ukraine sur 5 ans,
mais la Russie a réduit ses volumes de gaz et ses paiements à l'Ukraine
en mars 2022, après que son invasion a fermé l'une des voies d'accès
à l'Ukraine à travers les territoires occupés. La Russie a rejeté l'offre
de l'Ukraine de réacheminer les volumes par des gazoducs ouverts.
En réponse, la compagnie nationale de gaz ukrainienne a ouvert une
procédure d'arbitrage pour paiements tardifs et insuffisants. L'Ukraine
n'a pas précisé le montant des paiements insuffisants effectués
par la Russie.
Les partenaires européens bénéficient également de l'accord, car ils
reçoivent du gaz russe relativement moins cher, transporté par voie
terrestre plutôt que par voie maritime.
Entre-temps, la guerre d'invasion russe a bouleversé les marchés
mondiaux du gaz naturel, avec des événements clés qui ont provoqué
des hausses importantes des prix du gaz naturel russe en Europe,
et contribué à l'augmentation du coût de la vie en Europe.
https://assets.kyivindependent.com/content/images/2024/09/Website-1.webpQui achète le gaz russe? -
Les pays d'Europe centrale et occidentale dépendent du gaz naturel russe
depuis des décennies, l'accord conclu avec l'Ukraine en 2019 n'étant que
le dernier d'une série d'accords. L'invasion russe de février 2022 a marqué
un tournant, imposant un changement sans précédent dans la politique
énergétique de l'Europe.
L'Europe est désormais "pleinement engagée" dans l'élimination progressive
du gaz russe, a déclaré, le 11 septembre 2024, la "Commissaire européen
à l'Energie, l'estonienne Kadri Simson, et est "prête à vivre sans ce gaz russe
provenant de l'itinéraire de transit ukrainien".
Les pays européens ayant pris des mesures pour diversifier leurs sources
d'énergie et réduire leur dépendance à l'égard de la Russie, la part du gaz
russe dans les importations de gaz naturel de l'UE est passée de 45%
en 2021, à 15% en 2023.
https://assets.kyivindependent.com/content/images/2024/09/Website-3.webpLa forte baisse de la demande des acheteurs européens a conduit le géant
russe de l'énergie, Gazprom, à enregistrer ses pertes les plus importantes
depuis 25 ans, avec une perte de 5.5 milliards de dollars au cours
du premier semestre 2024.
Alors que la plupart des pays européens disposant d'un accès maritime
ont décidé d'acheter davantage de gaz naturel liquéfié (GNL) importé par
bateau, les pays enclavés d'Europe centrale, comme la Hongrie,
la Slovaquie et l'Autriche, sont confrontés à des difficultés plus
importantes.
L'Autriche importe la plus grande part de gaz naturel russe de tous les pays
de l'UE, atteignant un record de 98% en décembre 2023 et fluctuant
au-dessus de 80% au cours de ces derniers mois. Le pays s'est engagé
à éliminer les importations de gaz russe d'ici 2027.
Le gaz naturel russe a représenté 82% et 85% des importations de gaz
naturel en Hongrie et en Slovaquie, au cours des quatre premiers mois
de 2024, respectivement, selon un rapport de Fitch Ratings.
Le gouvernement du Premier ministre hongrois Viktor Orban, contrairement
à la position des autres pays membres de l'UE, a défendu la poursuite de
l'utilisation du gaz russe, affirmant que la stabilité des approvisionnements
russes est un impératif économique pour son pays.
Les pays européens ont également réduit leur consommation globale
de gaz russe. Selon l'Institute for Energy Economics and Financial Analysis,
elle a diminué de 20% depuis que la Russie a lancé sa guerre d'invasion
contre l'Ukraine.
Malgré ces réductions, l'UE reste le plus grand marché d'exportation
de gaz naturel de la Russie.
Certains pays ont encore des contrats avec la Russie pour l'achat de leur
gaz au-delà de 2024, et devront rompre ou trouver d'autres moyens
d'honorer le contrat, éventuellement en important du gaz russe par
la route Turkstream.
Comment le gazoduc russe atteint-il l'Europe? -
Le gaz entrait autrefois en Ukraine par deux points situés le long de
la frontière russe: par le nord, via la station de distribution de Sudzha,
dans l'Oblast de Kursk, et par l'est, via la station de distribution de
Sokhranivka, près de la frontière avec Luhansk.
https://assets.kyivindependent.com/content/images/2024/09/Map--1-.webpEn raison des violents combats, des bombardements et de l'occupation
russe qui s'en est suivie, dans certaines parties de l'Oblast de Luhansk,
l'opérateur gazier ukrainien, GTS Operator, n'a pas été en mesure
d'opérer au point d'entrée de Sokhranivka. Il a déclaré un cas de force
majeure en mai 2022, interrompant le flux de gaz russe le long de cette
route, et réacheminant la capacité disponible par le point d'entrée de
Sudzha, dans l'Oblast de Kursk. A l'époque, environ un tiers du gaz russe
destiné à l'Europe passait par l'itinéraire de Sokhranivka.
Depuis lors, la route de Kursk est la seule voie d'accès à l'Ukraine
à travers la frontière russe.
Le gazoduc Nord Stream, qui achemine le gaz de la Russie vers l'Allemagne,
transportait les plus gros volumes de gaz russe vers l'Europe parmi tous
les gazoducs. Au cours de la guerre, la Russie a réduit les volumes
transitant par Nord Stream, puis les a complètement interrompus,
affirmant qu'elle était contrainte de le faire en réponse aux sanctions
européennes. Le plus grand importateur de gaz allemand, Uniper, s'est vu
accorder des milliards de dollars de dommages et intérêts par Gazprom,
dans le cadre d'une procédure d'arbitrage, en juin 2024, pour "non-respect
des contrats de livraison de gaz par la Russie".
Après que les volumes ont cessé d'être acheminés par le gazoduc Nord
Stream, des saboteurs ont endommagé les gazoducs, en septembre 2022.
Le mois dernier, les autorités allemandes ont émis un mandat d'arrêt
à l'encontre d'un ressortissant ukrainien en rapport avec les explosions
des gazoducs Nord Stream, selon les médias. Kyiv a nié à plusieurs reprises
tout lien avec les explosions de Nord Stream.
La section polonaise d'une autre voie d'acheminement du gaz russe,
la voie Yamal, a été fermée en 2022 après que la Pologne et la Bulgarie
ont refusé la demande de la Russie de payer le gaz en roubles. La Russie
avait demandé à être payée en roubles en réponse aux sanctions
occidentales imposées, à la suite de son invasion de l'Ukraine.
Que se passera-t-il ensuite? -
Les gazoducs ukrainiens pourraient bientôt être remplis de gaz azeri,
en remplacement des approvisionnements russes. Le gaz azeri
traverserait le sud de la Russie avant d'atteindre l'Ukraine.
"Naftogaz ne prolongera pas l'accord de transit avec Gazprom. Nous
ne menons pas de négociations et n'avons pas l'intention de le faire",
a déclaré Oleksii Chernyshov, PDG de Naftogaz, la compagnie nationale
d'énergie ukrainienne, lors d'une interview accordée, en juillet 2024,
à Liga.net.
"Nous recherchons des solutions alternatives. Par exemple, nous avons
été approchés par des entreprises d'Azerbaidjan, en particulier Socar.
Mais nous n'avons pas encore de solution toute faite. Il est trop tôt pour
en parler", a déclaré Chernyshov.
Le 6 septembre 2024, le président azeri, Ilham Aliyev, a confirmé que
des négociations étaient en cours avec l'UE, Moscou et Kyiv au sujet
d'un accord potentiel tripartite.
"Depuis plusieurs mois, nous faisons de gros efforts pour parvenir
à un dénominateur commun", a déclaré Aliyev.
Russia's oil sector still has its claws on Hungary
[The Kyiv Independent] (13/09/2024) -
https://www.youtube.com/watch?v=didH-EyYkTM (6m24s)
Auteur(e)s de l'article:
1/ Andrea Januta. Journaliste.
Andrea Januta est une journaliste basée à Kyiv pour le Kyiv Independent.
Auparavant, elle a passé six ans en tant que journaliste d'investigation
chez Reuters, à New York City, où elle a remporté le prix Pulitzer du
reportage explicatif. Pendant son séjour à Reuters, son travail a donné
lieu à de nombreuses enquêtes fédérales, à des auditions au Congrès et
à de nouvelles lois. Avant de devenir journaliste, elle a travaillé
comme analyste de données financières chez Goldman Sachs.
a.januta@kyivindependent.com2/ Danylo Nosov. Journaliste stagiaire au Kyiv Independent.
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