"Ce n'est pas ce que veut le peuple géorgien" - La présidente Salomé
Zourabichvili dénonce la position pro-russe du parti "Rêve géorgien"
au pouvoir dans le pays.
https://kyivindependent.com/thats-not-what-georgian-people-want-president-zourabichvili-blasts-ruling-partys-pro-russia-stance/[Article du Kyiv Independent, publié par Martin Fornusek, 05/10/2024, 15:47]
La Géorgie et l'Ukraine sont depuis longtemps proches. Témoins de
révolutions qui ont amené des gouvernements démocratiques
pro-occidentaux, les deux pays ont ensuite subi une attaque militaire
russe, dans le cadre de la tentative du Kremlin de ramener, par la force,
ces deux pays dans l'"orbite de Moscou".
En Géorgie, 16 ans après une brève invasion russe, qui a laissé 20%
du pays occupé par l'Armée russe, il semble que Moscou ait réussi.
Le parti au pouvoir, le Rêve géorgien, a méthodiquement imposé des lois
oppressives, imitant celles adoptées précédemment par Moscou.
L'adoption de lois controversées visant la société civile, les médias
indépendants et la communauté LGBTQ+, qui s'apparentent à celles
du parlement russe, a fait reculer des années de progrès vers l'Occident,
et a effectivement interrompu l'adhésion à l'UE de Tbilissi, qui était
autrefois un modèle de réformes libérales et démocratiques dans
la région du Caucase.
Le basculement du gouvernement géorgien vers la Russie a déclenché
des manifestations populaires de masse, dans ce pays largement
pro-occidental et pro-ukrainien, et a provoqué un retour en arrière
de la part de certaines figures clés de la vie publique et politique
du pays.
Avec l'arrivée au pouvoir du parti Rêve géorgien, les relations entre Kyiv
et Tbilissi ont connu une évolution similaire.
Le gouvernement géorgien est resté en marge de l'invasion russe contre
l'Ukraine, le parti au pouvoir utilisant des images de guerre pour faire peur
avant les prochaines élections législatives en Géorgie, prévues pour la fin
d'octobre 2024.
La présidente géorgienne, Salomé Zourabichvili, une personnalité
indépendante, est une fervente partisane de l'intégration à l'UE et
euro-atlantique de la Géorgie, et a tenté d'opposer son veto
à la législation controversée, sans succès.
Bien qu'initialement soutenue par le Rêve géorgien lors de sa course
victorieuse à la présidence, en 2018, Mme Zourabichvili et le parti au
pouvoir se sont ensuite retrouvés dans des camps politiques opposés.
Selon elle, les prochaines élections législatives constituent un référendum
sur l'avenir du pays.
Le Kyiv Independent a rencontré la présidente Zourabichvili lors du Forum
sur la sécurité de Varsovie, le 1er octobre 2024, pour discuter des relations
entre la Géorgie et l'Ukraine, de l'influence croissante de la Russie en
Géorgie, et de l'avenir du pays aujourd'hui en jeu.
Georgian President on Russia's influence on her country
[The Kyiv Independent] (02/10/2024) -
https://www.youtube.com/watch?v=s9HfkzpVUn8 (7m35s)
Kyiv Independent: Le parti au pouvoir en Géorgie a récemment adopté
une loi sur les agents étrangers et une législation anti-LGBTQ+, qui
ressemble à une législation similaire en Russie. Pourquoi le parti
Rêve géorgien a-t-il fait avancer cette législation autoritaire,
malgré les protestations dans le pays et l'opposition des partenaires
occidentaux?
Présidente Salomé Zourabichvili: C'est à eux qu'il faut poser la question,
pas à moi. Je me suis opposée à cette loi, comme la grande majorité de
la population géorgienne: une fois l'année dernière, dans la rue, et une
autre fois cette année, dans la rue. J'ai opposé mon veto à cette loi.
Elle a également été soumise à la Cour constitutionnelle, mais sans
effet, car la Cour constitutionnelle retarde son évaluation de
la constitutionnalité de cette loi.
Mais le "pourquoi" est une question à laquelle doivent répondre
ceux qui ont pris cette décision. Ce que nous pouvons dire de l'extérieur,
c'est que cela ressemble beaucoup au modus operandi des Russes,
lorsqu'ils essayaient de contraindre et de restreindre leur société civile.
C'est ainsi qu'ils ont commencé à essayer de prendre le contrôle des
organisations non gouvernementales, de faire pression sur elles. Et c'est
ce qui se passe aujourd'hui en Géorgie.
C'est d'autant plus préoccupant en Géorgie que cela se produit à la veille
des élections (parlementaires), alors que ces organisations ont un rôle
important à jouer en termes de surveillance des élections, et qu'elles
sont très impliquées dans la campagne préélectorale.
Kyiv Independent: Il y a dix ans, la Géorgie était considérée comme
le pays du trio oriental [Géorgie, Arménie et Ukraine] le mieux préparé
à l'adhésion à l'UE, tant en termes d'Etat de droit que de législation.
Aujourd'hui, elle est à la traîne et le processus est effectivement gelé.
Comment cette évolution a-t-elle été possible?
Présidente Salomé Zourabichvili: C'est le résultat des positions prises
par les autorités, qui ont vraiment pris du retard dans la mise en oeuvre
des 12 premières recommandations de l'UE, puis des 9 recommandations.
Malgré cela, le statut de candidat accordé à la Géorgie a été accueilli,
et c'est un signe très important, avec enthousiasme par l'ensemble de
la population, sans distinction entre les personnes soutenues ou non.
Cela reflète donc vraiment le sentiment de la population géorgienne
dans son ensemble.
Ensuite, la rhétorique anti-européenne et anti-américaine s'est intensifiée
et nos partenaires, européens et américains, ont été accusés de manière
très agressive, de vouloir "ouvrir un second front en Géorgie".
https://assets.kyivindependent.com/content/images/2024/10/GettyImages-2175488221-1.jpgKyiv Independent: Diriez-vous que c'est Moscou qui mène la danse
à Tbilissi?
Présidente Salomé Zourabichvili: Il est très difficile de dire si c'est eux
[la Russie] qui mènent la danse ou si le parti au pouvoir essaie de plaire
aux Russes de sa propre initiative, mais cela n'a pas vraiment
d'importance.
C'est quelque chose que l'on ne peut pas savoir de l'extérieur. Ce qui
est important, c'est ce parallélisme, cette similitude qui en dit long sur
la direction prise par le parti au pouvoir, et qui, j'en suis convaincu,
sera dépassée lors des prochaines élections, car ce n'est pas ce que
le peuple géorgien, dont deux territoires [Abkhasie et Ossétie du Sud]
sont occupés par l'Armée russe, peut souhaiter pour son propre avenir.
Kyiv Independent: Pensez-vous que les prochaines élections législatives
décideront de l'avenir de la Géorgie?
Présidente Salomé Zourabichvili : Bien sûr. Tout d'abord, il s'agira
d'un quasi-référendum, car c'est ainsi que la population le perçoit:
nous choisissons maintenant si nous revenons à notre passé européen,
ou si nous acceptons et nous soumettons à la pression indirecte russe.
C'est ainsi que la population géorgienne se prépare à ces élections.
C'est ainsi que les forces politiques se préparent, et les quatre partis
d'opposition pro-européens disposent désormais d'un terrain d'entente,
et d'une plate-forme commune. Je pense que nous nous dirigeons vers
ces élections dans de bonnes conditions.
Kyiv Independent: Que pensez-vous de la déclaration de Bidzina
Ivanishvili, président honoraire du parti Rêve géorgien, selon laquelle
la Géorgie est responsable de la guerre d'invasion russe de 2008,
et qu'elle devrait s'excuser?
Présidente Salomé Zourabichvili: Il ne s'agit pas d'une seule déclaration,
mais d'un ensemble de déclarations et de discours récents qui vont dans
la même direction. Elle est destinée à plaire à la Russie et à attaquer
nos amis et nos partenaires occidentaux.
C'est donc l'image générale qui préoccupe beaucoup la Géorgie. Et c'est
ce que la population géorgienne voit, ne comprend pas et, j'en suis sûr,
ne partage pas.
Kyiv Independent: Il y a eu des signes de détérioration des relations
entre l'Ukraine et la Géorgie, le Rêve géorgien a même utilisé des images
de guerre dans ses publicités de campagne. Comment décririez-vous
l'état actuel des relations entre l'Ukraine et la Géorgie?
Présidente Salomé Zourabichvili: Je ne parlerais pas de relations entre
l'Ukraine et la Géorgie. Je décrirais cela comme des relations entre
l'Ukraine et le parti au pouvoir en Géorgie. Cela ne décrit pas l'état
d'esprit de la population géorgienne, qui a été bouleversée de manière
très brutale par cette campagne lancée par le parti au pouvoir, qui mettait
en contraste la guerre en Ukraine et la prétendue paix en Géorgie.
Cela n'a plu à personne et ils ont dû retirer certaines de ces vidéos.
Et je pense que l'état des relations entre la Géorgie et l'Ukraine est mieux
décrit et vu dans les rues de Tbilissi, où l'on voit des drapeaux ukrainiens
presque partout, et la façon dont les Ukrainiens sont accueillis par
la population géorgienne. Je suis donc assez optimiste quant à l'avenir
de nos relations.
Auteur de l'article: Martin Fornusek. Rédacteur en chef.
Martin Fornusek est rédacteur en chef au Kyiv Independent. Auparavant,
il a travaillé comme rédacteur en chef du contenu de l'information à la société
de médias Newsmatics et a contribué à Euromaidan Press. Il a également
travaillé bénévolement comme rédacteur et traducteur pour la version tchèque
d'Ukraïner. Martin a étudié à l'université Masaryk de Brno, en République
tchèque, où il a obtenu une licence en études de sécurité et en histoire,
ainsi qu'une maîtrise en études des conflits et de la démocratie.
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