Sujet : Re: Ukraine
De : juste (at) *nospam* le.bref (Lebref)
Groupes : fr.soc.politiqueDate : 12. May 2025, 20:40:48
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P Cormoran :
Lebref :
P Cormoran :
Vous avez raison sur un point : les démocraties ne sont pas exemptes de
compromissions ou d’hypocrisie — la realpolitik n’est pas l’apanage
des régimes autoritaires. Mais la forme d’un régime n’est pas un
détail : dans une démocratie, il existe au moins des contre-pouvoirs,
une presse libre, une société civile, des élections contestables —
autant de choses impossibles en Russie. Cela ne garantit pas la vertu,
mais cela permet la contestation, la sanction, le débat. Ce n’est pas
secondaire, c’est structurant.
Oui, mais non, le problème auquel nous sommes confrontés est qu'en état
de guerre, la démocratie disparaît, elle s'efface derrière les
nécessités de l'unité dans le combat. Vous pouvez invoquer la
démocratie en Ukraine, mais depuis quand n'y a-t-il pas eu d'élections
? La presse y est-elle encore libre ? Chacun peut-il contester
ouvertement le gouvernement ?
Vous avez raison de souligner que la guerre met les démocraties à rude
épreuve — c’est vrai en Ukraine comme ailleurs. Mais le contexte compte
: l’Ukraine ne suspend pas ses institutions par goût du pouvoir, elle le
fait parce qu’elle est littéralement envahie, partiellement occupée et
bombardée chaque jour. Il y a là une différence fondamentale entre des
restrictions imposées par une situation d’exception, et un système où
ces restrictions sont la norme.
Il est exact que certaines élections ont été reportées, que les médias
sont sous pression, que les critiques sont plus difficiles à exprimer.
Mais malgré cela, l’Ukraine reste un pays où les contre-pouvoirs
existent encore, où la société civile est active, où les partis
d’opposition ne sont pas tous interdits, et où les citoyens savent très
bien faire entendre leurs désaccords — y compris avec Zelensky.
Autrement dit : la démocratie ukrainienne est mise à l’épreuve, mais
elle n’a pas disparu. Et surtout, ce n’est pas la démocratie qui a causé
la guerre, c’est la volonté d’un régime autoritaire de la détruire.
La guerre malmène l'expression déjà imparfaite de la démocratie, soit, nous
sommes d'accord.
Après, pour la question des torts, je n'ai pas très envie de me lancer dans
un long échange sur les responsabilités de cette triste affaire, mais vous
savez qu'il y a de quoi ; une autre fois peut-être.
Quant à la morale, je n’ai pas besoin d’invoquer une supériorité
abstraite. Mais si on renonce à toute boussole éthique sous prétexte
que "tout se vaut" ou que "le monde est cynique", alors il ne reste
que la loi du plus fort. Et dans ce cas, pourquoi blâmer Poutine ?
Pourquoi même discuter ? Si on accepte que seul le rapport de force
compte, alors il faut aussi accepter la guerre comme mode d’arbitrage
permanent. Moi, je refuse cette résignation.
Quand Poutine agresse ou que Netanyahou bombarde, la morale permet
peut-être de se positionner, mais là encore quel impact a-t-elle ?
Si Poutine envahit, qui va sérieusement contester à l'Ukraine le droit
de se défendre ? Si Netanyahou bombarde des civils, qui va sérieusement
contester au Hamas le droit de ... non, d'accord, là ça ne fonctionne
plus. (Gaza n'est là que pour illustrer mon propos, ne le prenez pas
mal)
La morale c'est toujours le risque de tomber dans le deux poids, deux
mesures.
Vous soulevez un point intéressant — la morale n’a pas toujours de poids
sur le rapport de force immédiat, mais ce n’est pas une raison pour
l’abandonner.
Oui, le droit à la défense de l’Ukraine ne fait aucun doute, justement
parce qu’il existe une morale partagée, codifiée dans des règles
internationales (Charte de l’ONU, Convention de Genève, etc.). Ce sont
ces principes qui nous permettent de dire clairement : une invasion est
inacceptable, un massacre de civils est un crime, une démocratie
attaquée a droit au soutien.
Vous mentionnez Gaza : ce qui rend la situation si explosive, c’est
justement qu’on a l’impression que les principes sont appliqués à
géométrie variable. Mais la solution, ce n’est pas de jeter la morale
par-dessus bord — c’est de la rendre cohérente et universelle. Ce n’est
pas la morale qui crée le “deux poids, deux mesures”, c’est son
instrumentalisation.
Renoncer à tout cadre moral parce qu’il est parfois mal appliqué, ce
serait comme renoncer aux lois parce qu’il y a des injustices
judiciaires : ce serait un recul, pas un progrès.
Je disais qu'il ne faut pas tout ramener à une question morale, parfois
équivoque, mais je comprends que l'on puisse aussi s'en réclamer, c'est
légitime.