Un résumé de "Mensonge romantique et vérité romanesque" de René Girard

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Sujet : Un résumé de "Mensonge romantique et vérité romanesque" de René Girard
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Groupes : fr.soc.politique
Date : 18. Aug 2022, 20:25:05
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La théorie mimétique et sacrificielle de la bible revue par Girard
Le romantisme est fondé sur le mensonge de l'autonomie du désir humain tandis que le romanesque perçoit et soutient que le désir humain est envieux. Le romantisme affirme que le désir est binaire : le sujet et l'objet. La tradition biblique reprise par la tradition romanesque soutient que le désir envieux est toujours triangulaire : le sujet désire l'objet que lui désigne le modèle c'est-à-dire que le modèle semble désirer. Là où le romantisme se contente d'affirmer l'autonomie du désir et de prendre la posture sublime de l'autosuffisance comblée, la tradition romanesque dénonce une ruse de coquette qui feint de s'admirer elle-même afin d'être imitée en servant de modèle à d'autres sujets.
Voici un très célèbre exemple de cette terrible lucidité de la théorie du désir envieux, lucidité qui va jusqu'à la compréhension du rôle du sacrifice humain comme mécanisme de résolution des rivalités mimétiques:
1R 3,16-28
16 Un jour, deux prostituées vinrent se présenter devant le roi.
17 L’une des femmes dit : « De grâce, mon seigneur ! Moi et cette femme, nous habitons la même maison. Et j’ai accouché, alors qu’elle était à la maison.
18 Or, trois jours après ma délivrance, cette femme accoucha à son tour. Nous étions ensemble : personne d’autre dans la maison ; il n’y avait que nous deux dans la maison !
19 Une nuit, le fils de cette femme mourut : elle s’était couchée sur lui.
20 Elle se leva au milieu de la nuit, prit mon fils qui reposait à mon côté – ta servante dormait – et le coucha contre elle. Et son fils mort, elle le coucha contre moi.
21 Au matin, je me levai pour allaiter mon fils : il était mort ! Je l’examinai attentivement au petit jour : ce n’était pas mon fils, celui que j’avais mis au monde. »
22 L’autre femme protesta : « Non ! Mon fils est celui qui est vivant, ton fils celui qui est mort. » Mais la première insistait : « Pas du tout ! Ton fils est celui qui est mort, et mon fils celui qui est vivant! » Elles se disputaient ainsi en présence du roi.
23 Le roi dit alors : « Celle-ci affirme : Mon fils, c’est le vivant, et ton fils est le mort. Celle-là affirme : Non ! Ton fils, c’est le mort, et mon fils est le vivant ! »
24 Et le roi ajouta : « Donnez-moi une épée ! » On apporta une épée devant le roi.
25 Et le roi poursuivit : « Coupez en deux l’enfant vivant, donnez-en la moitié à l’une et la moitié à l’autre. »
26 Mais la femme dont le fils était vivant s’adressa au roi – car ses entrailles s’étaient émues à cause de son fils ! – : « De grâce, mon seigneur ! Donnez-lui l’enfant vivant, ne le tuez pas ! » L’autre protestait : « Il ne sera ni à toi ni à moi : coupez-le ! »
27 Prenant la parole, le roi déclara : « Donnez à celle-ci l’enfant vivant, ne le tuez pas : c’est elle, sa mère ! »
28 Tout Israël apprit le jugement qu’avait rendu le roi. Et l’on regarda le roi avec crainte et respect, car on avait vu que, pour rendre la justice, la sagesse de Dieu était en lui.
Commentaires de René Girard
Tout au long de la dispute qui précède la ruse géniale du monarque, le texte ne distingue pas entre les deux femmes. Il les désigne seulement comme « l'une des deux femmes », et comme « l'autre femme ». Peu importe qui parle, en effet, puisque l'une et l'autre disent exactement la même chose. « " Ce n'est pas vrai ! mon fils est celui qui est vivant et ton fils est celui qui est mort ! " et celle-là reprenait: " Ce n'est pas vrai, ton fils est celui qui est mort et mon fils est celui qui est vivant ! " » Cette indéniable symétrie, c'est l'essence même du conflit humain. C'est pourquoi le texte ajoute: « Elles se disputaient ainsi devant le roi... »
Pour tout commentaire, le roi répète avec exactitude les paroles des deux femmes, soulignant l'identité de langage entre les adversaires et l'impuissance qui en résulte pour lui de décider rationnellement en faveur de l'une ou de l'autre.
Ne pouvant trancher le cas par une décision réellement motivée le roi se prétend décidé à trancher l'enfant lui-même ; ne pouvant départager les antagonistes, il décide de partager entre elles l'objet du litige. Decidere signifie trancher par l'épée.
Il y a une logique et une justice dans cette décision royale. Mais derrière cette justice purement formelle, la plus terrible injustice se dissimule, puisque l'enfant n'est pas un objet qui se puisse partager, et c'est de le tuer qu'il s'agit. Ce meurtre va priver la vraie mère de son enfant vivant.
« "Apportez-moi une épée ", ordonna le roi; et on apporta l'épée devant le roi qui dit: " Partagez l'enfant vivant en deux et donnez la moitié à l'une et la moitié à l'autre ! " » Jusqu'au bout, en somme, le roi se propose de respecter la symétrie des doubles et à la symétrie des expressions correspond l'égalité absolue de traitement entre les deux femmes.
En acceptant ce que propose le roi, la seconde femme se révèle dépourvue d'amour véritable pour l'enfant. La seule chose qui compte pour elle, c'est de posséder ce que l'autre possède. Elle accepte, à la rigueur, d'en être privée pourvu que son adversaire en soit également privée. C'est le désir mimétique, de toute évidence, qui la fait parler et agir; il en est arrivé chez elle à un tel degré d'exaspération que l'objet de la dispute, l'enfant vivant, ne compte plus pour elle; seule compte la fascination haineuse pour le modèle-rival, le ressentiment qui cherche à abattre ce modèle et à l'entraîner dans sa propre chute, s'il devient impossible de l'emporter sur lui.
La mise en scène de Salomon constitue une solution possible du dilemme aussi bien qu'une ruse destinée à rendre manifestes les vrais sentiments maternels, s'ils sont présents dans l'une des deux femmes.
René Girard, Des choses cachées depuis la fondation du monde
fin de citation
La théorie mimétique de Girard constate que le désir envieux n'est jamais stable. Cette instabilité s'explique par la théologie chrétienne. Car le désir envieux c'est tout simplement "le désir naturel mais inefficace de voir Dieu" dit l'Église. Ce désir métaphysique qui n'existe que chez l'être humain se confond avec la certitude que tout homme a de son imperfection, de son incomplétude, de son insuffisance ontologique. Ce désir est le puissant aiguillon qui pousse l'homme vers Dieu et le bien ou vers le néant et le mal. En effet, si tout homme est appelé à choisir entre les commandements de l'Esprit proposés par YHWH, et les commandements de la chair inscrits dans le cerveau reptilien, c’est le désir de voir Dieu qui l’incite à progresser dans le bien comme dans le mal.
L'homme est laissé libre par YHWH de recevoir l'Esprit et ses très difficiles commandements ou de suivre sa pente naturelle.
Si l'homme reçoit les commandements spirituels, s'il les assimile et les pratique avec l'aide du Tout-Puissant alors il devient co-ouvrier de Dieu et participe activement à la réalisation en lui de la finalité de la création : l'union avec le Père, union amoureuse, sans confusion ni séparation, union qui respecte la différence des natures, des libertés, des volontés, des êtres, union réalisée en, par et avec Jésus.
Par contre si l'homme rejette l'Esprit c'est Dieu qu'il rejette car l'Esprit c'est justement Dieu qui propose à l'homme de devenir un dieu et un fils du Très-Haut (Psaumes 81,6). Et en rejetant Dieu pour la nature humaine (c'est-à-dire ce que Dieu nous a imposé) le sujet se condamne à la frustration de son désir ontologique. Et puisque l'homme sait que sa nature est imparfaite il recherchera chez ses congénères humains cet Absolu dont il se sait dépourvu. Et l'homme se mettra à guetter chez eux les signes de satisfaction qui seront interprétés comme la possession de cet Absolu. Comme on le voit, chez l'homme qui rejette Dieu le désir de voir l'Absolu devient envieux car frustré.
Au commencement la distance entre le sujet et son modèle est énorme. Le modèle est un dieu car il est censé avoir en lui l'Absolu. Le sujet admire son modèle. Et si le modèle semble être aux anges à cause de sa coupe de cheveux il se précipitera chez le coiffeur afin d'avoir la même. Très vite il se rendra compte qu'il est toujours aussi frustré car seul Jésus peut étancher cette soif d'absolu qui le dévore (c'est Jésus qui le dit à la femme de Samarie au puits de Sychar). Et le sujet rejettera son modèle et s'en cherchera un autre. Par exemple il tombera éperdument admiratif d’Alain Bulot à cause de sa 403 décapotable. Il se précipitera pour acheter la même. Et la suite sera identique : Bulot est un faux dieu. De frustration en frustration le sujet en viendra à désirer des choses qui ne peuvent pas se partager comme un bébé (voir le jugement de Salomon ci-dessus) ou l’amour d’une femme. Et là les rapports entre le sujet et son modèle deviennent de plus en plus acrimonieux. La distance entre le sujet et le modèle est plus petite et la haine entre eux commence à se manifester. C'est ici que Girard place le changement de régime entre la médiation aimable et distante et la médiation acrimonieuse, haineuse et rapprochée. La première médiation entre le sujet et son modèle est appelée médiation externe (à la base de la publicité) tandis que la seconde est appelée médiation interne (à la base du mal et en fait c'est le mal !).
Une étape importante dans la médiation interne se produit quand le désir envieux se déplace de l'objet vers le modèle lui-même. Cela s'explique très facilement : le sujet est rationnel. Il se rend compte que quel que soit l'objet désiré il est toujours frustrant. Il en finit par soupçonner que la divinité qui se dérobe à lui est possédée en propre par le modèle, dans sa vie, dans son être même. L'objet ne disparaît pas, c'est toujours la divinité, mais il tend à se confondre avec le modèle devenu rival. C'est ici que peut survenir l'homosexualité. Le désir sexuel n'est bien entendu pas le désir métaphysique et ontologique de l'homme. Mais il arrive souvent que le désir mimétique surdétermine le désir sexuel : Marlon tombe amoureux de Brijouille car elle est la maîtresse de Beau Gars le Magnifique qui sert de modèle à Marlon. Et donc quand le désir mimétique se déplace de l'objet vers le modèle il peut arriver, ce n'est pas obligatoire, que ce déplacement entraîne aussi le déplacement du désir sexuel depuis l’objet Brijouille de l'autre sexe vers le modèle Beau Gars qui lui appartient au même sexe. C'est la raison pour laquelle la tradition hébraïque condamne l'homosexualité : elle est la preuve que le sujet s’est avancé très loin dans la voie du mal.
Girard décrit ensuite le stade du masochisme : le sujet se rapproche de son modèle au point de le molester et se prend des coups. Ce n'est pas qu'il jouisse des coups, pas du tout, mais leur violence prouve que ce que défend le modèle, la divinité, en vaut vraiment la peine. Mais la frustration continue et en dépit des raclées terribles le sujet est de plus en plus frustré.
Et en continuant à se rapprocher de son modèle, en l'imitant, il commence lui aussi à donner des coups, à devenir sadique. Non pas qu'il jouisse en faisant souffrir l'autre mais parce qu'il croit percevoir dans le déchaînement de la violence contre l'autre la clef de la divinité. Mais bien entendu la frustration demeure, plus forte que jamais.
Au stade suprême le désir mimétique devient collectif. Il n'oppose plus le sujet et son modèle mais les doubles mimétiques décrits par Shakespeare, Dostoïevski et, le plus grand de tous, Guimarães Rosa. Shakespeare parle de "Crisis of Degree", crise de la différence, Dostoïevski repris par Girard de crise des doubles et Guimarães Rosa de "O diabo na rua, no meio do redemoinho", le diable dans la rue au milieu du tourbillon et dans redemoinho (tourbillon) on entend demônio, démon ! C'est quoi exactement cette crise des doubles indifférenciés ? C'est ça mais en infiniment pire :
https://www.youtube.com/watch?v=_zeza1xeWKM
En principe dans une Crisis of Degree l'objet a disparu. Ici c'est le manche de la guitare détruite. D'ailleurs nous constatons que l'objet finit dans le caniveau, méprisé et discrédité.
A ce stade suprême du désir envieux il peut se passer deux choses : soit la disparition du groupe qui en est la proie, soit la polarisation de la haine de tous contre tous sur un seul des participants de la crise, celui qui est censé détenir l'objet du désir comme dans la vidéo, non pas le manche de la guitare mais la divinité. Et dans ce cas tous ceux qui participent à cette guerre de tous contre tous se retournent contre le bouc émissaire. Girard le décrit comme responsable du mal de manière totalement hallucinatoire. Son lynchage fait disparaître le mal donc rétablit la paix. L'explication de Girard est un peu courte. La solution de l’énigme se trouve chez Jean-Claude Lozac'hmeur, un éminent universitaire et philologue breton, qui explique que le lynchage du bouc émissaire, que Lozac’hmeur décrit comme le dieu mauvais de tout mythe, libère la divinité sur tout le groupe. Il s'agit là d'une programmation animale inscrite par Dieu dans notre cerveau reptilien. Pourquoi cela ? En vue du Salut bien sûr, Ieshoua en hébreu, traduit par Jésus. Car en lynchant le bouc émissaire le groupe des lyncheurs se sent divinisé (pour un temps assez court) et il attribue cette divinisation au bouc émissaire. Et donc le bouc émissaire lynché est divinisé comme dieu à la fois bon et mauvais : mauvais de son vivant car il confisquait à son seul profit la divinité (merci Lozac'hmeur, grand spécialiste des mythes devant l'Éternel) et bon après sa mort puisque la destruction du bouc émissaire a libéré la divinité sur le groupe des lyncheurs.
La théorie girardienne du désir mimétique et de sa résolution sacrificielle n’est pas difficile à comprendre mais elle reste inintelligible pour la plupart des êtres humains. Car comme dans le désir des écrivains romantiques la plupart des êtres humains ne voient pas le modèle derrière l'objet. Or le modèle est le tenant-lieu de Dieu dans le désir. Et notre époque rebelle refuse de voir Dieu. C'est là, je le crains, la source de notre inintelligence aussi bien collective qu'individuelle.

Date Sujet#  Auteur
3 May 24 o 

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