Coincés dans un vide juridique, les civils ukrainiens subissent des tortures
dans les prisons russes.
Des milliers de civils ukrainiens enlevés par les forces russes sont bloqués
dans des prisons contrôlées par la Russie, car il n'existe pas d'instrument
juridique permettant de les ramener dans leur pays.
https://kyivindependent.com/stuck-in-legal-limbo-ukrainian-civilians-endure-torture-in-russian-prisons/[Article du Kyiv Independent, publié par Dinara Khalilova, 16/07/2024, 20:14]
Note de la rédaction: Cet article a été sponsorisé par Common Sense
Communications, une organisation ukrainienne à but non lucratif spécialisée
dans la communication stratégique en faveur de la démocratie. L'un de ses
projets en cours est "Voices of Civilian Hostages", qui vise à attirer l'attention
du monde sur la question de l'enlèvement et de la détention illégaux de civils
ukrainiens par la Russie.
Yaroslav Platonov se trouvait sur son lieu de travail, un hôtel près de Kyiv,
lorsque des soldats russes sont arrivés dans l'après-midi du 20 mars 2022.
Ils ont enlevé le jeune homme de 24 ans et deux autres employés de l'hôtel,
leur ont bandé les yeux et les ont menottés avant de les emmener dans
un char d'assaut. Le jeune homme et les autres employés avaient collecté
de l'aide humanitaire pour la population locale au cours des premières
semaines de l'invasion russe à grande échelle.
Valentyna Platonova, la mère de Yaroslav, a appris par d'autres captifs qui
avaient été détenus avec Platonov que son fils avait d'abord été détenu
dans une colonie pénitentiaire de l'Oblast russe de Bryansk. Il a ensuite été
transféré dans un endroit plus éloigné de la frontière ukrainienne, où l'on
pense qu'il se trouve encore aujourd'hui.
Platonov fait partie des milliers de civils ukrainiens qui ont été enlevés
illégalement par la Russie depuis 2014, date à laquelle elle a envahi l'Ukraine.
Selon certaines estimations, plus de 7,000 civils ukrainiens seraient
actuellement détenus dans des prisons contrôlées par la Russie.
Ces personnes sont détenues dans des conditions désastreuses, souvent
maltraitées et torturées, sans aucun moyen de communication. Elles sont
également piégées dans un vide juridique, le droit international interdisant
la capture et l'échange de civils contre des prisonniers de guerre.
Un peu moins de 500 civils ukrainiens auraient été libérés de ces prisons,
certains à la condition qu'ils ne fuient pas les zones occupées par la Russie
vers les territoires contrôlés par l'Ukraine. Le gouvernement ukrainien et
la société civile travaillent d'arrache-pied pour trouver des moyens de ramener
le reste de ces Ukrainiens chez eux. Ils ont récemment célébré une petite
victoire lorsque la Russie a restitué 10 civils dans le cadre d'un échange
de prisonniers le 28 juin 2024, avec la médiation du Vatican.
https://assets.kyivindependent.com/content/images/2024/06/photo_2024-06-29_02-31-20.webpIl est rare que la Russie libère autant de civils ukrainiens en même temps.
Le groupe comprenait l'activiste tatare de Crimée, Nariman Dzhelial,
des prêtres de l'Eglise gréco-catholique ukrainienne et des personnes
qui avaient été capturées en Biélorussie, le principal allié de Moscou.
Bien que cela permette d'espérer que d'autres captifs civils ukrainiens
puissent être libérés dans le cadre d'opérations similaires menées par
des tiers, les militants civils soulignent qu'il est essentiel que le monde
continue à faire pression sur la Russie pour qu'elle respecte le droit
international.
Enlevés -
Lorsque Moscou a lancé son invasion totale de l'Ukraine le 24 février 2022,
les civils des territoires ukrainiens occupés ont commencé à disparaître
en masse. Ce n'est que plus tard qu'il a été révélé que nombre d'entre-eux
avaient été enlevés par la Russie dans ce qui semblait être une sinistre
tentative d'étouffer toute opposition à l'occupation militaire russe.
Selon Nataliia Yashchuk, coordinatrice de la libération des otages civils au
Centre ukrainien pour les libertés civiles, les forces russes ont souvent pris
pour cible d'anciens militaires, des militants locaux et des bénévoles qui
avaient aidé les habitants à survivre à l'occupation russe, en les présentant
comme s'opposant à la soi-disant "opération militaire spéciale" du Kremlin.
Parfois, les "raisons" des enlèvements étaient particulièrement absurdes.
S'adressant au Kyiv Independent, Mme Yashchuk a raconté le cas d'un
mécanicien automobile, dont les mains étaient graisseuses, qui a été enlevé
parce qu'on prétendait qu'il avait réparé des véhicules militaires ukrainiens.
https://assets.kyivindependent.com/content/images/2024/07/GettyImages-1241473866.webpEn plus d'être enlevés sous des prétextes peu convaincants, les captifs
ukrainiens subissent des mauvais traitements de la part des Russes: Ils sont
souvent placés dans des chambres de torture dans les territoires occupés,
forcés d'aider les soldats russes en creusant des tranchées, en déminant
des champs ou en nettoyant du matériel militaire, puis transférés dans des
prisons à travers la Russie et l'Ukraine occupée, aux côtés de prisonniers
de guerre ukrainiens.
Mikhaïl Savva, juriste au Centre pour les libertés civiles, estime que cela fait
partie de la stratégie russe visant à intimider les habitants des territoires
ukrainiens occupés, et à éliminer toute résistance potentielle. Il estime que
91% des Ukrainiens captifs, civils et militaires, subissent des tortures
de la part de la Russie.
Viktoriia Andrusha, une Ukrainienne de 27 ans, capturée au printemps 2022
dans un village alors occupé de l'Oblast de Chernihiv, a passé six mois dans
une prison russe. Elle a déclaré qu'elle et deux autres femmes, dans sa cellule
de deux mètres de large, ont eu la "chance" de n'avoir été battues qu'une seule
fois, contrairement aux prisonniers ukrainiens de sexe masculin qui ont été
battus "presque tous les jours".
Les services de sécurité russes ont menacé Andrusha en disant qu'elle
"ne rentrerait jamais chez elle et n'aurait jamais d'enfants", qu'elle avait
"déjà assez vécu" et ont même simulé de la brûler vive. Sa journée consistait
principalement à être forcée de chanter des chansons patriotiques russes
faisant l'éloge du président russe Vladimir Poutine et d'écouter la propagande
russe à la radio, a déclaré Mme Andrusha au Kyiv Independent.
Lorsque Andrusha a été autorisée à envoyer une lettre à sa famille, les gardes
russes l'ont forcée à écrire qu'elle était bien traitée, qu'elle était nourrie trois
fois par jour et qu'elle bénéficiait d'une assistance médicale, ce qui n'est pas
vrai. De nombreux autres captifs civils n'ont même pas été autorisés à écrire
une lettre à leurs proches, a indiqué Yashchuk.
Selon Savva, la plupart des captifs civils ukrainiens sont détenus en Russie
sans qu'aucune accusation officielle n'ait été portée contre-eux et sans
qu'aucun jugement n'ait été rendu. Les autorités russes ignorent souvent
les demandes d'information des familles sur leurs proches ou prétendent
"vérifier" le statut d'un détenu.
https://assets.kyivindependent.com/content/images/2024/07/GettyImages-1395173744.webp"Le droit humanitaire international permet à un pays occupant de détenir
un citoyen soupçonné d'avoir commis un crime. Toutefois, après l'inspection,
la personne doit être soit inculpée, soit libérée", ajoute Savva.
Dans de nombreux cas de prisonniers civils ukrainiens, cette "inspection"
dure depuis plus de deux ans.
Peu de progrès -
Le nombre exact de civils ukrainiens retenus en captivité par les Russes n'est
pas clair, car Moscou n'a fourni aucune liste officielle à Kyiv. Le Centre pour
les libertés civiles estime qu'il y a plus de 7,000 captifs civils ukrainiens, dont
environ 200 personnes faisant l'objet de poursuites pénales par la Russie.
L'Ukraine ne peut pas échanger des civils contre des prisonniers de guerre
russes sans risquer d'encourager d'autres enlèvements.
Le mépris de la Russie pour le droit international dans le cas de ces Ukrainiens
prisonniers est absolument éhonté, affirme Yashchuk :
"La Fédération de Russie envoie un message clair: Il existe un droit humanitaire
international, des conventions de Genève, des règles de guerre. Nous n'en
avons absolument, complètement et totalement rien à faire. Voyez comment
nous pouvons les violer, et nous n'en subirons aucune conséquence".
Aucune organisation internationale n'a suffisamment accès à la centaine
d'établissements pénitentiaires en Russie et sur le territoire ukrainien
occupé par la Russie où sont détenus des Ukrainiens.
Malgré cela, l'Ukraine a réussi à obtenir la libération de près de 160 captifs
civils depuis le début de l'invasion russe, en février 2022, déclare Petro
Yatsenko, porte-parole du siège de coordination pour le traitement des
prisonniers de guerre, une agence d'Etat. La plupart des civils ukrainiens
ont été transférés en même temps que les prisonniers de guerre ukrainiens.
En échange, l'Ukraine a envoyé à la Russie des collaborateurs condamnés -
S'ils acceptaient de partir et si Moscou exprimait le désir de les avoir,
explique Yatsenko.
En vertu du droit international, la Russie devrait libérer sans condition les civils
ukrainiens emprisonnés illégalement. Or, selon Yatsenko, elle ne l'a fait qu'une
poignée de fois.
Selon Savva, quelque 300 autres otages civils ukrainiens ont été libérés des
prisons russes, dans les territoires occupés par la Russie avec l'aide d'avocats
russes. Toutefois, après leur libération, ils ne sont pas autorisés à traverser
la ligne de front et regagner le territoire contrôlé par l'Ukraine.
Ces derniers mois, il est devenu de plus en plus difficile pour l'Ukraine de
négocier des échanges de prisonniers de guerre et de civils avec Moscou,
qui s'est enhardie grâce à une série de victoires sur le champ de bataille,
selon M. Yatsenko. C'est pourquoi il considère que le dernier retour de civils
ukrainiens, le 28 juin 2024, avec l'aide du Vatican, est "un résultat important".
https://assets.kyivindependent.com/content/images/2024/07/GettyImages-1988735171.webpLa médiation de tierces parties pourrait contribuer à accélérer le processus.
Toutefois, pour qu'elle soit efficace, le pays médiateur doit avoir une "réelle
influence sur la Russie" et de bonnes relations avec Kyiv et Moscou, explique
Yatsenko, ajoutant que Kyiv est constamment à la recherche de médiateurs
tels que le Vatican. En attendant, la situation "reste critique", selon Yashchuk.
Si les civils ukrainiens continuent d'être renvoyés au rythme actuel, par groupes
de 10 personnes à la fois, il faudra au moins 86 ans pour ramener tout
le monde à la maison, dit-elle.
Alors que les jours s'étirent en mois, et les mois en années, Valentyna
Platonova a fait appel à de nombreuses organisations internationales et
personnes, y compris les Nations Unies et le Pape, mais aucune n'a été
en mesure de l'aider à ramener son fils.
"J'attends chaque jour, j'attends chaque échange, en espérant que mon enfant
soit parmi eux. A ce stade, je ne sais pas sur qui compter", dit-elle.
"Que puis-je faire? S'ils voulaient bien m'échanger, j'irais là-bas [en Russie]
et je le remplacerais en prison pour qu'il puisse rentrer à la maison.
Pression internationale -
Les organisations ukrainiennes de défense des droits de l'homme aident
les familles des otages civils à les localiser et à confirmer le statut de leurs
proches, parfois en faisant appel à des contacts en Russie. Elles collaborent
également avec les autorités ukrainiennes pour mettre au point un mécanisme
durable de retour de tous les otages ukrainiens.
En mars 2024, le Centre pour les libertés civiles et le QG de coordination ont
présenté une stratégie pour la libération des civils capturés "sans échanges
ni conditions". Cette stratégie invite les autorités ukrainiennes à déposer un
recours contre la Russie pour violation de la Convention internationale contre
la torture et les traitements cruels, notamment en ce qui concerne la détention
indéfinie de civils. La Russie a ratifié et fait partie de Cette convention.
Maryna Hovorukhina, experte en communication stratégique à l'ONG Common
Sense Communications, explique qu'un autre outil essentiel pour faciliter
le retour des otages civils consiste à obtenir un soutien international en faveur
de ces efforts. L'organisation s'efforce d'impliquer les acteurs du changement
et d'exercer une pression accrue sur la Russie par le biais de campagnes
de communication à l'étranger.
https://assets.kyivindependent.com/content/images/2024/05/GettyImages-2146012439.webpDans l'une de ces campagnes, l'ONG a encouragé les Allemands à envoyer
des lettres à l'ambassade de Russie pour demander des informations sur
les civils ukrainiens capturés ou à partager leurs histoires sur les médias
sociaux. La campagne a été largement couverte par les médias allemands
et a impliqué des politiciens et des organisations internationales,
selon Hovorukhina.
"Nous continuerons à travailler dans cette direction, car les otages civils n'ont
pas de voix, pas d'outil pour être libérés et sont soumis à des tortures
quotidiennes", déclare-t-elle.
"Nous devons devenir leur voix.
Inside a prison where Russia tortured Ukrainian POWs. Investigation by
the Kyiv Independent [The Kyiv Independent] (07/12/2023) -
https://www.youtube.com/watch?v=U_rWDBS9TTo (56m0s
Auteure de l'article: Dinara Khalilova. Journaliste.
Dinara Khalilova est journaliste au Kyiv Independent, où elle a précédemment
travaillé comme rédactrice en chef. Dans les premières semaines de la guerre
d'invasion russe, elle a travaillé comme fixeur et producteur local pour l'équipe
de Sky News en Ukraine. Dinara est titulaire d'une licence en journalisme de
l'université nationale Taras Shevchenko de Kyiv et d'une maîtrise en médias
et communication de l'université britannique de Bournemouth.
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CJ: "Je pense tout ce que je fais/dis, et donc je fais/dis tout ce que je pense!"