Re: LE ROMANTISME

Je souffre, donc j'aime et j'existe >


"Celui qui regarde la nuit de la mort avec amour,
Celui qui se fie à son mystère profond,
Voit devant lui dispersés,
Comme de stériles poussières de soleil,
Les mensonges du jour, ses honneurs,
Son pouvoir et ses richesses, si éclatants qu’ils soient !
Dans les vaines illusions du jour,
Il lui reste un seul désir,
Le désir de la nuit sacrée
Où à tout jamais, unique vérité,
Le plaisir de l’amour lui sourit."

Tristan attire doucement Isolde à ses côtés sur un banc
de fleurs, s’agenouille devant elle et enfouit sa tête
entre ses bras.
[...]

BRANGAINE (du chemin de ronde, invisible)
Je veille, solitaire dans la nuit,
Que celui à qui le rêve d’amour sourit,
Prenne garde à l’appel,
Qui annonce le malheur à ceux qui dorment,
Et les appelle, angoissé, à s’éveiller.
Prenez garde ! Prenez garde !
La nuit bientôt va se dissiper.

[...]

MARKE
Tu as fait mon cœur plus sensible à la souffrance,
J’ai été touché au plus tendre, au plus doux, au plus vulnérable,
Sans jamais espérer
Pouvoir guérir un jour :
Pourquoi, malheureux,
Me blesser là, si cruellement ?
Les sens et l’âme mutilés et brûlés
Par l’arme d’un poison dévorant,
Me fermant toute loyauté envers l’ami,
Mon cœur à nu se remplit de soupçon,
Et dans la nuit sombre, en secret je me glisse
Pour épier l’ami
Et toucher à la fin de mon honneur.
Pourquoi cet enfer dont aucun ciel
Ne peut me sauver ?
Pourquoi cette honte
Qu’aucune peine ne peut expier ?
La raison profonde, secrète, insondable,
Qui la révélera au monde ?

[...]
Tristan
Ça, je ne puis te le dire.
J’étais où toujours j’ai été,
Et où pour toujours je vais aller ;
Dans le vaste royaume de la nuit.
Là-bas, une seule foi est la nôtre :
L’oubli, premier, éternel et divin !
Comment en ai-je perdu la conscience ?
Avertissement du désir,
Dois-je te nommer ainsi, qui m’attire
À nouveau vers la lumière du jour ?
Tout ce qui m’est resté,
Un amour fervent, un amour brûlant,
M’a banni des délices frissonnants de la mort
Pour me montrer la lumière,
Trompeuse, brillante et dorée,
Qui brille encore pour toi, Isolde !

[...]
ISOLDE
Suis-je seule à entendre cette mélodie
Sortant de sa bouche, merveilleuse, douce,
Délicieuse et plaintive et qui exprime tout,
Douce, apaisante, prenant son envol,
Me pénétrant et me baignant
De son chant sublime ?
Sons lumineux qui m’emportent,
Sont-ce les ondes d’une douce brise ?
Sont-ce des vagues de parfums délicieux ?
Comme elles gonflent et murmurent autour de moi,
Dois-je respirer, dois écouter ?
Faut-il savourer, faut-il plonger ?
Dois-je me griser de parfums délicieux ?
Dans le flot qui monte, dans le son qui vibre,
Dans la grande respiration du souffle du monde
Me noyer, m’engloutir,
Sans conscience –
Extase !

[...]
MARKE
Tout est donc mort ! Tout est mort !
Mon héros, mon Tristan !
Ami le plus aimé,
Même aujourd’hui il te faut trahir l’ami ?
Aujourd’hui, où il vient te témoigner la plus grande fidélité ?
Réveille-toi ! Réveille-toi !
À mes pleurs réveille-toi !
(Il se penche sur le corps en sanglotant.)
Toi, l’infidèle, l’ami le plus fidèle !