Des mots, des notes. C. comme Cornemuse

Liste des GroupesRevenir à fram classique 
Sujet : Des mots, des notes. C. comme Cornemuse
De : b.suisseVotreculotte (at) *nospam* gmail.com (Paul & Mick Victor)
Groupes : fr.rec.arts.musique.classique
Date : 26. Sep 2023, 18:51:34
Autres entêtes
Organisation : <https://pasdenom.info/news.html>
Message-ID : <uev270$e4o$1@rasp.pasdenom.info>
User-Agent : MesNews/1.08.06.00
[C. comme Cornemuse] :
J’ai connu un garçon qui étudiait la cornemuse. Vous n’avez pas idée de l’opposition qu’il rencontra, y compris parmi les membres de sa propre famille. Dès le début, son père désapprouva son entreprise, qu’il critiquait sans retenue.
Mon ami prit l’habitude de se lever le matin afin d’étudier, mais il dut abandonner cette pratique à cause de sa sœur. Croyante fervente, elle jugeait peu chrétien de commencer la journée sur un air de cornemuse.
Aussi résolut-il d’attendre pour jouer que sa famille fût couchée. Mais cette tentative échoua pareillement, valant de plus à la maison une mauvaise réputation. Des passants attardés s’arrêtèrent au-dehors pour écouter, et, le lendemain matin, répandirent à travers la ville le bruit qu’un horrible assassinat avait été commis la nuit précédente chez M. Jefferson. Ils racontaient avoir entendu les cris de la victime, les blasphèmes et les insultes du meurtrier, bientôt suivis des vaines supplications et des râles ultimes de l’agonisant.
On lui permit de s’exercer le jour dans l’arrière-cuisine, toutes portes closes. Mais, malgré ces précautions, les plus beaux passages s’entendaient du salon et mettaient sa mère en pleurs. Elle disait que cela lui rappelait son malheureux père disparu dans la gueule d’un requin alors qu’il se baignait, le pauvre homme, sur la côte de la Nouvelle-Guinée. Quel rapport y avait-il entre ce drame et les accents de la cornemuse, elle ne pouvait l’expliquer.
Alors on aménagea au musicien un petit local tout au fond du jardin, à quatre cents mètres de la maison. On l’y envoyait avec son instrument quand il désirait s’en servir. Mais parfois arrivait un visiteur qui n’était pas informé et qu’on oubliait de prévenir. Que d’aventure il allât faire un tour dans le jardin, il risquait de se trouver soudain à portée d’oreille de l’instrument sans s’y attendre ni savoir ce que c’était. S’il avait l’âme bien trempée, il grinçait des dents, mais un individu ordinaire ne pouvait manquer d’en avoir les sens tout retournés.
Il faut bien le reconnaître, les premiers efforts d’un amateur de cornemuse ont quelque chose de poignant. Je l’ai moi-même ressenti en écoutant mon jeune ami. La cornemuse est un instrument épuisant. Vous devez, avant de commencer, prendre assez de souffle pour tout le couplet – c’est du moins ce que j’ai compris en observant Jefferson.
Il attaquait magnifiquement sur une note pleine, sonore, presque farouche, qui vous emportait littéralement. Mais à mesure qu’il poursuivait, il allait de plus en plus piano, et la dernière strophe expirait en général dans un crachotement, suivi d’un pitoyable bruit de fuite d’air.
Il faut être en bonne santé pour jouer de la cornemuse.
Le jeune Jefferson n’apprit à jouer qu’un seul air sur cet instrument ; mais je n’ai jamais entendu personne se plaindre de l’insuffisance de son répertoire – absolument personne. Il intitulait cet air « Les Campbell arrivent, hourra ! hourra ! ». Mais son père soutenait toujours que c’était « Les campanules d’Écosse ». Personne n’avait l’air de savoir de quoi il s’agissait au juste, mais tous s’accordaient à trouver au morceau une sonorité écossaise. On invitait les visiteurs de passage à donner leur avis, et la plupart avançaient à chaque fois un titre différent.
Jerome K. Jerome. Trois hommes dans un bateau. 1889.
--
Paul & Mick Victor
Le poids des cornes m'use, parole de cocu !

Date Sujet#  Auteur
26 Sep 23 * Des mots, des notes. C. comme Cornemuse2Paul & Mick Victor
26 Sep 23 `- Re: Des mots, des notes. C. comme Cornemuse1MELMOTH

Haut de la page

Les messages affichés proviennent d'usenet.

NewsPortal