Dans la Russie poutinienne, la torture et la violence d'Etat se manifestent
ouvertement et pleinement.
https://kyivindependent.com/in-putins-russia-state-violence-is-on-full-display/[Article du Kyiv Independent, publié par Katie Marie Davies,
27 mars 2024, 20:25]
Lorsque les hommes accusés d'avoir commis l'attentat terroriste de la semaine
dernière à Moscou ont comparu devant un tribunal russe, leurs visages meurtris
racontaient une histoire de torture physique.
Les quatre hommes, accusés d'avoir ouvert le feu sur la foule à l'hôtel de ville
Crocus de Moscou le 22 mars 2024, tuant au moins 140 personnes - sont tous
apparus sur le banc des accusés lourdement meurtris. L'un des accusés,
Muhammadsobir Fayzov, a été amené dans la salle d'audience en fauteuil
roulant et a semblé à peine conscient tout au long de la procédure.
Il était assis sur le banc des accusés, pieds nus et vêtu d'une blouse d'hôpital,
assisté par des médecins.
Des preuves de torture ont également été relevées à l'extérieur de la salle
d'audience.
Entre l'arrestation du groupe aux premières heures du 23 mars 2024 et leur
mise en accusation vers le soir du jour suivant, plusieurs vidéos montrant
les interrogatoires des hommes ont fait l'objet de fuites tacites.
Dans l'une d'elles, on voit des soldats électrocuter les parties génitales d'un
prévenu. Dans une autre, des officiers coupent l'oreille d'un homme qui
semble être l'accusé Saidakrami Rachabalizoda et le forcent à la manger.
Rachabalizoda s'est présenté au tribunal la tête lourdement bandée.
https://kyivindependent.com/in-putins-russia-state-violence-is-on-full-display/Le recours à la torture par les gouvernements n'est pas rare, en particulier
dans les Etats autoritaires comme la Russie.
Mais le fait de voir ces actes exposés - qu'ils soient imprimés sur les visages
des accusés ou filmés - fait de l'affaire Crocus City Hall un cas à part.
Elle laisse entrevoir les messages plus larges que le gouvernement russe
espère envoyer à la fois aux groupes terroristes, au public russe et au mythe
de la force et du contrôle de Poutine, ébranlé par l'attentat.
Violence et vengeance du gouvernement russe -
Les chercheurs avancent généralement trois raisons pour lesquelles
les services de sécurité des Etats totalitaires recourent à la torture.
Elle peut être utilisée pour obtenir des renseignements - bien que la recherche
ait prouvé à maintes reprises que les informations obtenues par la torture sont
notoirement peu fiables. Elle peut également être utilisée pour obtenir des
preuves, en particulier dans les pays où le système judiciaire est faible.
Courtenay Monroe, professeur de sciences politiques à l'université de
Californie, explique que si de nombreux gouvernements autoritaires recourent
à la torture, la majorité d'entre eux s'efforcent activement de dissimuler son
utilisation, mais que les services de sécurité russes n'ont rien tenté de tel
dans l'affaire du Crocus City Hall.
"Le fait que ces personnes comparaissent devant un tribunal en montrant
des traces de torture est en fait tout à fait unique de nos jours", déclare-t-elle.
Cela s'explique en partie par la nature des crimes présumés de ces hommes.
Une vidéo diffusée par l'Etat Islamique, qui a revendiqué l'attentat, montre
les assaillants tirant sur la foule à bout portant avec des armes automatiques,
attaquant les victimes avec des couteaux et lançant des cocktails Molotov.
Au moins 140 personnes ont été tuées, dont plusieurs enfants.
Dans une affaire aussi horrible, montrer la torture des auteurs présumés
ne risque pas de provoquer l'indignation de l'opinion publique. En fait,
elle pourrait même susciter l'approbation.
https://assets.kyivindependent.com/content/images/2024/03/GettyImages-2097724825-1.webp"Lorsqu'on demande aux gens s'ils sont favorables à la torture, ils répondent
par la négative", explique M. Monroe. "Mais lorsque les chercheurs en sciences
sociales ont mené des expériences minutieuses pour sonder l'opinion publique,
ils ont malheureusement découvert que le public est plus favorable à la torture
si elle concerne des individus particuliers pour des raisons particulières,
comme le terrorisme."
Mais il y a aussi d'autres motivations.
En montrant comment les détenus ont souffert entre les mains de leurs agents,
les services de sécurité russes espèrent probablement souligner leur volonté
de recourir à la violence - un avertissement à la fois pour les groupes
terroristes et pour les citoyens ordinaires.
Outre les quatre principaux suspects, les tribunaux russes ont arrêté quatre
autres personnes: un homme qui aurait loué un appartement aux auteurs de
l'attentat et un homme qui leur aurait vendu une voiture, ainsi que son frère
et son père.
Ce dernier s'est présenté au poste de police de son plein gré, a-t-il déclaré,
lorsqu'il a vu la voiture qu'il avait vendue apparaître à la télévision nationale.
https://assets.kyivindependent.com/content/images/2024/03/GettyImages-2105326063.webpDans une déclaration publiée après la mise en accusation des détenus,
le groupe d'activistes russes Crew Against Torture [anciennement connu sous
le nom de "Comité contre la torture", une ONG qui a été fermée après avoir
été qualifiée d'"agent étranger" par le gouvernement russe, a averti que "si un
Etat tolère la torture contre des personnes soupçonnées de terrorisme, il peut
également commettre des actes de violence illégaux contre d'autres citoyens".
Monroe est d'accord.
"Souvent, les gouvernements recourent à la violence lorsqu'ils essaient de
signaler au public ou à l'opposition leur volonté et leur capacité à commettre
ces actes", explique-t-elle. "Je pense qu'ils essaient certainement de le faire
savoir.
Selon Frank Foley, maître de conférences en relations internationales au
département des études sur la guerre du King's College de Londres, ce besoin
de projeter sa force, mais aussi la volonté de se venger, est une autre raison
majeure pour laquelle des Etats comme la Russie recourent à la violence.
Selon lui, il s'agit d'un moyen de réaffirmer sa domination et de riposter
à une humiliation perçue.
Une culture de l'impunité -
La transparence avec laquelle la torture a été pratiquée dans le cadre de
l'attentat contre le Crocus City Hall témoigne en fin de compte d'une culture
de l'impunité dans l'ensemble de la Russie.
La torture est interdite par la constitution russe. Moscou est également
signataire de la "Convention des Nations Unies contre la torture". Aucun
de ces faits n'a changé la façon dont les détenus ont été traités, bien que
la commissaire russe aux droits de l'homme, Tatyana Moskalkova, ait qualifié
le recours à la torture d'"inacceptable" dans une récente interview accordée
à l'agence de presse d'Etat russe TASS. La Russie de Vladimir Poutine espère
se racheter au lendemain de l'attentat, en montrant visuellement au monde
qu'elle a toujours le contrôle de la situation.
https://assets.kyivindependent.com/content/images/2024/03/GettyImages-1251592140.webpLe Kremlin ne s'attend apparemment à aucune répercussion, affirme M. Foley,
et l'expérience passée montre qu'il a probablement raison, du moins pour
l'instant.
"Vladimir Poutine et les autorités russes ont déjà été accusés de toutes sortes
de crimes de guerre dans le cadre de leur invasion de l'Ukraine.
"Ils sont confrontés à des difficultés juridiques à cause de cela et à des
tentatives de les rendre responsables, mais cela ne les arrête pas. Ils ont
manifestement un sentiment d'impunité: ils peuvent faire ce qu'ils veulent
et n'auront pas à en subir les conséquences", ajoute-t-il.
Auteure de l'article: Katie Marie Davies.
Katie Marie Davies est une journaliste indépendante qui a travaillé en Russie
et au Royaume-Uni. Elle a été rédactrice en chef au Moscow Times
et rédactrice en chef du Calvert Journal.
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