Les conséquences de la fusillade de Moscou: Répressions, racisme, terreur
d'Etat en Russie.
https://kyivindependent.com/moscow-shooting-aftermath-repressions-racism-and-terror/Article du Kyiv Independent, publié par Oleg Sukhov, 31 mars 2024, 17:47]
La fusillade de masse du 22 mars 2024 à Moscou sera probablement utilisée
pour justifier une nouvelle vague de terreur et d'oppression en Russie.
Les politiciens et les propagandistes russes ont commencé à réclamer
le rétablissement de la peine de mort, un mécanisme qui peut être utilisé non
seulement contre les terroristes, mais aussi contre l'opposition pacifique.
En outre, une nouvelle vague de xénophobie s'est répandue dans le pays après
qu'il a été révélé que les auteurs de l'attentat étaient très probablement des
citoyens du Tadjikistan, un pays d'Asie centrale limitrophe de l'Afghanistan.
Des millions de migrants d'Asie centrale, principalement originaires
d'Ouzbékistan, du Tadjikistan et du Kirghizstan, travaillent en Russie dans
le secteur de la construction et du commerce de détail. Des cas d'agressions
et de harcèlement racistes de la part de citoyens ordinaires et des autorités
publiques ont été enregistrés en masse.
"L'atmosphère de terreur d'Etat augmente en Russie", a déclaré Sergei
Sazonov, philosophe politique d'origine russe à l'université de New York,
au Kyiv Independent. "L'atmosphère politique devient de plus en plus sauvage."
Les autorités russes ont également utilisé l'attentat à des fins de propagande,
accusant l'Ukraine d'être à l'origine de la fusillade, bien qu'il n'y ait aucune
indication que Kiev ait été impliquée de quelque manière que ce soit.
Pourtant, malgré la montée potentielle des répressions, de la xénophobie
et de la terreur, la Russie semble toujours incapable de se prémunir contre
d'éventuelles nouvelles attaques.
Impact immédiat de l'attentat -
Le 22 mars 2024, un groupe de terroristes a attaqué la salle de concert Crocus
City Hall à Krasnogorsk, dans la banlieue de Moscou, tirant sur des personnes
et mettant le feu à la salle. Au moins 143 personnes ont été tuées, ce qui en
fait l'attaque terroriste la plus meurtrière en Russie depuis 2004.
Si cet attentat justifie la répression de l'opposition, ce ne sera pas la première
fois que le terrorisme servira de justification à l'autoritarisme.
Le président russe Vladimir Poutine a été élu à la suite des attentats à la bombe
perpétrés par le FSB en septembre-octobre 1999 dans les appartements de
Moscou. Il a utilisé la guerre en Tchétchénie et les attaques terroristes
présumées des insurgés tchétchènes comme excuse pour accumuler
plus de pouvoir et construire un régime de plus en plus autoritaire.
https://assets.kyivindependent.com/content/images/2024/03/GettyImages-2100329129--1-.webpLa prise d'otages de l'école de Beslan en 2004, en Ossétie du Nord, qui a fait
au moins 334 morts parmis les otages, a servi de prétexte à l'abolition des
élections gubernatoriales en Russie.
Bien que le Kremlin n'ait pas besoin d'attaques terroristes pour justifier
la répression, l'atmosphère politique dans le pays ne cesse de se détériorer,
a déclaré M. Sazonov à l'Independent de Kiev.
Selon lui, l'un des symptômes de cette brutalité est la façon dont les services
de sécurité russes torturent publiquement les terroristes présumés, en coupant
l'oreille d'un suspect.
"Les policiers russes ont toujours torturé des gens, mais ils n'ont jamais été fiers
de le faire publiquement comme cela", a déclaré M. Sazonov. "Les forces de
l'ordre ne seront pas sanctionnées pour ce genre de faits, y compris les actions
contre l'opposition.
L'analyste politique russe Georgy Satarov a déclaré au Kyiv Independent qu'une
nouvelle répression de l'opposition et de la société civile était possible après
l'attaque terroriste.
Il a déclaré que le Kremlin resserrait la vis en raison de sa crainte paranoïaque
que les choses échappent à tout contrôle.
Rétablissement de la peine de mort en Russie -
Le principal symptôme de cette recrudescence de la terreur d'Etat est que
des politiciens et des propagandistes russes ont appelé à rétablir la peine
capitale pour les terroristes à la suite de l'attentat. Il s'agit notamment de
Leonid Slutsky, chef du parti nationaliste LDPR contrôlé par le Kremlin, et de
Sergei Mironov, chef d'un autre parti contrôlé par le Kremlin, Une Russia Juste.
Vladimir Vasilyev, chef de la faction parlementaire du parti de Poutine, Russie
Unie, a également déclaré le 23 mars 2024 que les législateurs discuteraient
de la question du rétablissement de la peine de mort.
La Russie a imposé un moratoire sur la peine capitale en 1996 après avoir
rejoint le Conseil de l'Europe, qui exige de ses membres qu'ils abolissent
la peine de mort.
https://assets.kyivindependent.com/content/images/2024/03/GettyImages-2102850180.webpToutefois, les discussions sur le rétablissement de la peine capitale ont repris
après l'expulsion de la Russie du Conseil de l'Europe en raison de la guerre
totale qu'elle a menée contre l'Ukraine en 2022.
M. Satarov a déclaré qu'il appartenait de jure à la Cour constitutionnelle de
rétablir la peine de mort. Toutefois, si le Kremlin prend une décision à ce sujet,
la Cour se pliera à ses exigences, a-t-il ajouté.
Si la peine de mort est rétablie, l'article sur le terrorisme pourrait être utilisé
pour viser n'importe qui, selon M. Satarov.
Impact sur l'Ukraine -
Il y a également des spéculations selon lesquelles la Russie pourrait utiliser
l'attaque terroriste pour justifier l'escalade de son agression contre l'Ukraine
et lancer une mobilisation des conscrits pour la guerre.
Poutine n'a pas tardé à accuser l'Ukraine d'être responsable de l'attentat
contre le Crocus City Hall.
Le 23 mars 2024, il a affirmé que les terroristes avaient tenté de fuir vers
l'Ukraine, qui leur aurait préparé une "fenêtre".
Dmitri Medvedev, vice-président du Conseil de sécurité russe et ancien
président, a déclaré le 22 mars 2024 que "si des terroristes du régime de
Kiev sont derrière tout cela... ils devraient tous être retrouvés et éliminés
sans pitié comme des terroristes... y compris les fonctionnaires de l'Etat".
Sazonov a toutefois affirmé que la politique de la Russie à l'égard de l'Ukraine
n'était pas déterminée par des incidents tels que la fusillade de Moscou.
Il pense que le Kremlin utilise l'attaque à des fins de propagande contre
l'Ukraine, mais que cela n'affectera pas sa conduite de la guerre en Ukraine.
"Ils n'ont pas l'illusion que l'Ukraine est derrière tout cela, c'est pourquoi ils
sont si vagues à ce sujet - sans allusion aux conséquences", a déclaré Sazonov.
Raisons de l'échec des Services de Sécurité russes -
La focalisation du Kremlin sur sa guerre totale contre l'Ukraine peut expliquer
l'échec des services de sécurité russes à combattre l'Etat islamique,
qui a revendiqué l'attentat et promis d'autres actions contre la Russie.
Poutine, qui est arrivé au pouvoir pendant la crise des séparatistes tchétchènes
(1999-2000), a utilisé la guerre contre le terrorisme comme une justification
majeure de son règne et pour donner aux services de sécurité d'immenses
pouvoirs. Et pour entamer une Seconde guerre de Tchétchénie (2000-2009).
Mais les Services de sécurité russes ont connu un fiasco majeur. Ce n'est pas
la première fois.
Début mars 2024, les Etats-Unis ont mis en garde la Russie contre une attaque
terroriste potentielle de l'Etat islamique-Khorasan (ISIS-K), la branche afghane
du groupe terroriste Etat islamique.
Malgré cet avertissement, les autorités russes n'ont pas réussi à empêcher
l'attaque.
La manière dont les forces de l'ordre russes ont géré l'attaque elle-même
a également été critiquée.
Les Services de sécurité n'ont pas réussi à empêcher les terroristes de s'enfuir
de la salle de concert et ne les ont arrêtés qu'à des centaines de kilomètres
de Moscou.
Les analystes estiment que l'échec des services de renseignement et des forces
de l'ordre russes est en partie dû au fait qu'ils se concentrent sur la lutte contre
l'Ukraine et l'opposition pacifique en Russie, plutôt que contre les islamistes.
"Toutes leurs ressources se trouvent en Ukraine", a déclaré M. Sazonov.
"Et c'est aussi dû au processus général de dégradation des agences
de renseignement russes.
Ce n'est pas la première attaque terroriste -
Le fait que la Russie ne se soit pas préparée à la fusillade de l'hôtel de ville
de Crocus est également surprenant, étant donné qu'il ne s'agit pas de
la première attaque de l'ISIS contre des cibles russes.
En 2015, la branche de l'Etat islamique dans le Sinaï a revendiqué le crash du
vol russe Metrojet 9268 au-dessus de la péninsule égyptienne du Sinaï, qui a
fait 224 morts.
L'ISIS-K a également revendiqué un attentat-suicide à la bombe contre
l'ambassade de Russie à Kaboul, qui a fait au moins huit morts et 15 blessés
en 2022.
Par ailleurs, le Service fédéral de sécurité russe (FSB) a déclaré le 7 mars 2024
qu'il avait déjoué un attentat de l'ISIS contre une synagogue près de Moscou.
Colin Clarke, analyste de la lutte contre le terrorisme au sein de la société de
conseil Soufan Group, basée à New York, a déclaré au New York Times que
l'ISIS-K "avait fait une fixation sur la Russie au cours des deux dernières
années". Le groupe accuse le Kremlin de tuer des musulmans en Afghanistan,
en Tchétchénie et en Syrie, a-t-il ajouté.
Reuters a rapporté le 26 mars 2024 que Sanaullah Ghafari, le chef d'ISIS-K,
"avait supervisé sa transformation en l'une des branches les plus redoutables
du réseau islamiste mondial, capable de mener des opérations loin de ses
bases dans les régions frontalières de l'Afghanistan".
Selon le projet de sécurité Critical Threats, basé aux États-Unis, ISIS-K a connu
une résurgence après le retrait des troupes américaines et la prise de contrôle
de l'Afghanistan par les Talibans, en août 2021.
https://assets.kyivindependent.com/content/images/2024/03/GettyImages-1233884544.webpSelon un rapport du Conseil de Sécurité des Nations Unies datant de juillet
2023, l'ISIS-K comptait entre 4,000 et 6,000 personnes sur le terrain
en Afghanistan.
L'Etat islamique avait des raisons d'être mécontent de la Russie puisque
les talibans, le principal ennemi d'ISIS-K en Afghanistan, ont noué des liens plus
étroits avec le Kremlin. Un autre ennemi d'ISIS-K, l'Iran, est également allié
à la Russie.
Frank McKenzie, l'ancien chef du commandement central américain CENTCOM,
a déclaré que l'attaque de Moscou était également conforme à l'objectif à long
terme d'ISIS-K d'accroître ses opérations à l'étranger, a rapporté Reuters.
Région menacée -
L'ISIS-K a publié plusieurs déclarations promettant de nouvelles attaques
contre la Russie. L'activité accrue du groupe terroriste pourrait également
conduire à une plus grande déstabilisation de la région située entre la Russie
et l'Afghanistan, à savoir l'Asie centrale.
ISIS-K, un groupe opérant en Afghanistan, dispose d'une base importante
parmi les Tadjiks et les Ouzbeks afghans. Selon Reuters, l'ISIS-K a également
recruté de plus en plus de Tadjiks et d'Ouzbeks de l'autre côté de la frontière,
au Tadjikistan et en Ouzbékistan.
Selon un rapport de l'ONU publié en janvier 2024, ISIS-K a intensifié ses efforts
pour enrôler les membres désillusionnés des talibans, en se concentrant
particulièrement sur les Tadjiks de souche.
Les activités d'ISIS-K en Asie centrale pourraient devenir une menace majeure
pour la Russie.
La Russie prétend protéger la région de l'islamisme et dispose d'installations
militaires au Tadjikistan, au Kirghizstan et au Kazakhstan, et considère souvent
l'Asie centrale comme son arrière-cour.
https://assets.kyivindependent.com/content/images/2024/03/GettyImages-1227988316.webpLes Tadjiks et les Ouzbeks constituent la majorité des travailleurs migrants
en Russie. Ils font partie des résidents les plus pauvres de Russie et sont
souvent maltraités par leurs employeurs, les autorités et la population civile
locale.
Les autorités russes ont déjà lancé une campagne de répression à l'encontre
des immigrés à la suite de l'attentat, et la xénophobie risque d'augmenter
en Russie, a déclaré M. Satarov.
Serhiy Danylov, expert à l'Association ukrainienne d'études sur le Moyen
Orient, a déclaré au Kyiv Independent que l'ISIS exploite la pauvreté et
la ferveur religieuse des Tadjiks, ce qui facilite leur recrutement.
Il a toutefois ajouté qu'il ne voyait aucun signe de résurgence islamiste
en Asie centrale et que les dictatures régionales maintenaient l'islamisme
sous un contrôle étroit.
Auteur de l'article: Oleg Sukhov. Journaliste.
Oleg Sukhov est journaliste au Kyiv Independent. Il a été rédacteur et reporter
au Moscow Times. Il est titulaire d'une maîtrise d'histoire de l'université d'Etat
de Moscou. Il s'est installé en Ukraine en 2014 en raison de la répression des
médias indépendants russes en Russie et a couvert la guerre, la corruption,
les réformes et l'application de la loi pour le Kyiv Post.
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