Stéphanie Combe, « Éducation positive : le grand malentendu ? », *La Vie*, 16/06/2023

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Sujet : Stéphanie Combe, « Éducation positive : le grand malentendu ? », *La Vie*, 16/06/2023
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Date : 25. Jan 2024, 11:53:32
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# Éducation positive : le grand malentendu ?
*Des parents bienveillants conduiraient-ils à forger des enfants rois ? En réalité, si l’éducation positive invite les parents à changer de posture, elle ne relève en rien du laxisme. Retour aux sources.*
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Oui, elle bouleverse la vision de l’éducation. Non, elle n’engendre pas des enfants tyrans. L’éducation dite positive (voir ci-dessous) n’est pas un label. « Chacun se l’approprie et projette sa propre vision », concède la coach parentale Charlotte Ducharme, dont l’ouvrage Cool Parents Make Happy Kids (Marabout), traduit en six langues, s’est vendu à 60 000 exemplaires. « Elle se situe en opposition avec l’éducation dite traditionnelle, qui crée un rapport de force entre parents et enfants. »
## Troisième voie éducative
Une évolution sociétale à ses yeux : « En politique, on s’est défait de la monarchie pour la démocratie ; dans la vie professionnelle, la hiérarchie est moins mise en avant, en faveur du collectif ; de manière générale, la femme n’est plus soumise à l’homme. »
L’éducation n’échapperait pas à ce mouvement général : « Ce courant est novateur, dans la mesure où l’enjeu n’est plus dans l’obéissance et la soumission de l’enfant, mais dans la compréhension des besoins de chacun, ceux des enfants comme ceux des parents. Plutôt que d’obéir à des ordres, se soumettre aux plus forts ou aux plus menaçants, nous préférons élever des êtres capables de réfléchir par eux-mêmes, de se respecter et de respecter les autres. »
En d’autres termes, l’éducation devient plus démocratique et horizontale. Pour autant, dans l’intérêt de l’enfant et de la société, mieux vaut qu’elle évite l’anarchisme, en veillant notamment à inculquer des règles : respecter des horaires, faire ses devoirs, différer un plaisir… C’est ainsi qu’une troisième voie éducative se dessine, ni autoritariste, ni laxiste.
## Un peu d’histoire
Au début du XXe siècle, certaines théories freudiennes basées sur la nature mauvaise de l’être humain ont conduit les tenants du courant psychanalytique à considérer que « l’éducation doit inhiber, interdire, réprimer… », comme l’a écrit Sigmund Freud (1856-1939), afin que l’enfant maîtrise ses pulsions.
À partir de la seconde moitié du XXe siècle, les progrès de l’imagerie médicale ont permis de mieux appréhender l’activité cérébrale, la maturation du cerveau, et notamment l’incidence des émotions. En se basant sur ces découvertes, les neurosciences affectives et sociales considèrent que l’être humain est avant tout un mammifère doué d’empathie, qu’il a besoin de sécurité pour grandir et s’épanouir, de nourrir un sentiment d’appartenance, de coopérer. Selon que l’on est adepte de l’un ou de l’autre courant, l’attitude parentale change évidemment du tout au tout.
S’appuyant sur une vision positive de l’homme, un courant dit humaniste va également émerger en psychologie. Docteur en psychologie clinique, Carl Rogers (1902-1987) a ainsi révolutionné l’approche thérapeutique, en la centrant sur la personne, en partant du postulat que ses patients ont la solution en eux ; dès lors, il suffit de les aider à cheminer. Sa méthode non directive a été introduite en France dans les années 1950.
Parmi ses élèves, deux psychologues : Marshall Rosenberg (1934-2015), qui a théorisé la communication non violente (CNV) et Thomas Gordon (1918-2002), auteur du best-seller Parents efficaces, publié en 1962 (traduit en français par les éditions Marabout, en 2006), vendu à plus de six millions d’exemplaires dans le monde. L’approche Gordon se diffuse en France dans les années 1980.
« Thomas Gordon a créé il y a plus de 60 ans les Ateliers parents (Parents efficaces ou Parent Effectiveness Training), précise Nathalie Reinhardt, cofondatrice des Ateliers Gordon France, un programme novateur destiné à développer des relations plus harmonieuses en famille et à démocratiser des techniques de communication développées en cabinets par des psychologues humanistes ».
## Écouter et s’affirmer pour trouver des solutions
Docteur en psychologie, Thomas Gordon a mis au point la révolution du « win-win », c’est-à-dire une résolution de conflit sans perdant, basée sur un équilibre entre l’écoute, l’affirmation de soi et une recherche commune de solutions. « Il a notamment inventé le “message-je” d’affirmation de soi, qui sera repris dans toutes les approches d’assertivité, de feedback, pour permettre aux parents – nouvellement outillés en écoute – de s’affirmer à leur tour et de créer les conditions pour être écoutés par leurs enfants », poursuit Nathalie Reinhardt.
Car, à force de vouloir faire plaisir aux autres, par peur du conflit ou par souci d’harmonie, certaines personnes finissent par taire leurs propres désirs et par subir. Ainsi, des parents pélicans ayant pris le pli de satisfaire les envies de leurs enfants, en viennent à se faire tyranniser.
Ce « message-je » permet précisément de se reconnecter à ses besoins et de développer son assertivité, dans la bienveillance. Parmi les différents outils qu’il propose, Thomas Gordon a aussi élaboré la « fenêtre des comportements », qui permet de réagir de manière adaptée à toute situation : si je suis dans le rouge et l’autre dans le vert : message-je. Si l’autre est dans le rouge et moi dans le vert : écoute. Si tous les deux sommes dans le rouge : résolution de conflit. Si tous les deux sommes dans le vert : communication pour renforcer encore la relation – appréciation, prévention, révélation, etc. Ces outils de communication interpersonnels sont valables dans tous les domaines, qu’ils soient personnels ou professionnels.
« 95 % des situations peuvent être réglées sans sanction, par l’affirmation de soi et l’écoute de l’enfant », assure Nathalie Reinhardt. Mais cet art requiert un certain entraînement : « Face aux émotions de l’enfant, à cause de nos neurones miroirs, notre empathie peut devenir de la sympathie, souligne-t-elle. L’empathie est une présence : elle accepte que l’enfant soit en colère, par exemple, alors que le parent est lui-même dans un autre ressenti. Cette attitude sécurise l’enfant. Si le parent accueille l’émotion, il ne modifiera pas pour autant la limite. Certains parents, pris aux tripes par les pleurs de leur enfant, versent dans la sympathie et peuvent céder. Or l’enfant a besoin d’être confronté à des limites claires, d’entendre les besoins des autres et d’apprendre à trouver une solution qui puisse satisfaire tout le monde. » Tenir compte de la réalité et des autres fait partie des enjeux éducatifs.
## « L’aide à offrir à l’enfant »
Dans les années 1920, deux chercheurs, Alfred Adler (1870-1937) et Rudolf Dreikurs (1897-1972), ont dessiné une approche éducative respectueuse et encourageante. Mère de sept enfants, docteure en psychologie de l’éducation, thérapeute conjugale et familiale, Jane Nelsen s’est appuyée sur leurs travaux pour élaborer la Positive Discipline, qu’elle a présentée dans son ouvrage éponyme publié en 1981.
Comme son nom l’indique, elle entend articuler fermeté et bienveillance. « D’où nous vient cette folle idée que pour qu’un enfant se conduise mieux, il faut d’abord qu’il se sente dévalorisé ? », écrit-elle dans la Discipline positive (publié en français en 2012 aux éditions Toucan, adapté par Béatrice Sabaté). Tout commence par gagner l’adhésion de l’enfant, clé de sa coopération : « Les enfants ne se soumettront pas à un modèle sans répondre à une motivation intrinsèque ni sans avoir appris l’autoévaluation et la maîtrise de soi. Or, la punition comme la récompense résultent toutes deux d’une évaluation extérieure de l’enfant. Quand les adultes font preuve de trop de contrôle, les enfants développent un référentiel externe et perdent leur sens des responsabilités. La permissivité entraîne également l’irresponsabilité puisque, dans cette approche, les adultes comme les enfants abandonnent toute véritable prise en charge. »
Docteur en psychologie clinique, Haim Ginott (1922-1973) a également promu une attitude éducative articulant compréhension et limites, ainsi qu’il l’expose dans Between Parent and Child, publié en 1965 et vendu à cinq millions d’exemplaires. Au sein des groupes de parents qu’il a créés, deux mères de famille, Adele Faber et Elaine Mazlish diffusent son approche dans différents ouvrages dès 1974, traduits en français par les éditions du Phare, au Canada : Parents épanouis, enfants épanouis (2001), Parler pour que les enfants écoutent, écouter pour que les enfants parlent (2002), Frères et sœurs sans rivalité (2003). « Toutes les émotions sont légitimes, mais tous les comportements ne sont pas acceptables », distinguait Haim Ginott.
« Il existe une énorme différence entre l’approche efficace et l’approche inefficace de la discipline. Certains parents stoppent les actes indésirables tout en fermant les yeux sur ce qui a poussé l’enfant à faire ces gestes. Ils fixent des restrictions, souvent incohérentes, inconsistantes et blessantes au beau milieu d’un accès de colère. De plus, ils appliquent la discipline au moment où l’enfant est le moins disposé à écouter, et probablement en des termes propres à susciter sa résistance. Trop souvent, ils laissent l’enfant avec l’impression accablante que non seulement ses gestes sont critiqués, mais que sa personne ne vaut rien », poursuivait-il.
Quelle est la juste attitude à développer, selon lui ? « Une approche disciplinaire plus efficace consiste à se concentrer sur l’aide à offrir à l’enfant, pour sa conduite et sa gestion des émotions. On lui permet d’exprimer ce qu’il ressent, tout en limitant et orientant ses actes indésirables. On fixe des limites qui ne sont ni arbitraires ni capricieuses, mais éducatives et propres à former le caractère. Les restrictions sont mises en application sans violence ni colère excessive. »
D’après son expérience, les fruits ne tardent pas : « L’enfant accepte qu’il est nécessaire d’interdire et de modifier certains de ses comportements. Cette discipline peut alors conduire à de l’autodiscipline : en s’identifiant à ses parents ainsi qu’aux valeurs qu’ils personnifient, l’enfant accède à des normes personnelles d’autorégulation. » Autrement dit : le Graal en éducation.
## Punir ou assumer les conséquences de son choix ?
N’est-il pas nécessaire de punir ? « Par une punition, les parents essayent d’enseigner une leçon à un enfant en le privant délibérément de quelque chose pour un laps de temps ou en lui infligeant une souffrance quelconque », relève Haim Ginott, qui considère la punition comme « une distraction qui prive l’enfant d’un processus intérieur très important : celui de faire face à sa mauvaise conduite ».
Il étaye son analyse : « La punition annule le crime : considérant qu’il a déjà subi les conséquences de son méfait, l’enfant se sent libre de répéter son geste sans éprouver de culpabilité. » Évidemment, tel n’est pas le but recherché. L’enjeu consiste à ce que l’enfant reconnaisse son erreur, répare le cas échéant et modifie son comportement. Car il n’est pas question de fermer les yeux sur les comportements enfantins inappropriés…
L’approche adlérienne, diffusée par la Discipline positive, considère également qu’une punition entraîne les « 4 R » : rancœur, revanche, rébellion ou retrait (dissimulation) ; elle bannit donc blâme, provoque humiliation, douleur (physique ou émotionnelle).
Dès lors, quelles sont les alternatives ? D’abord « connecter avant de corriger », enjoint Jane Nelsen : « Des études ont montré qu’il n’est pas possible d’influencer les enfants d’une façon positive sans avoir établi un lien avec eux. Partager un sentiment d’appartenance et d’importance est le signe qu’un lien efficace est établi. » Cette connexion passe par une écoute active, la validation des ressentis de l’enfant, la recherche de solutions possibles.
Ces différents courants préconisent de laisser vivre à l’enfant, à partir de l’âge de raison, les conséquences naturelles de son choix, après les avoir explorées ensemble en amont. « Une conséquence naturelle se produit sans aucune intervention de l’adulte et offre d’excellentes possibilités d’apprentissage à l’enfant », avance Jane Nelsen. Elle demande à être énoncée à l’avance : si on marche sous la pluie, on est mouillé ; si on n’apprend pas sa leçon, on a une mauvaise note ; si on oublie son manteau, on a froid, etc.
La psychologue s’empresse de préciser que l’« on perd les bénéfices qu’offre la conséquence naturelle si le parent ne résiste pas à la tentation d’ajouter “Tu vois, je t’avais prévenu…” Cette petite touche culpabilisante a pour effet de détourner l’enfant de l’enseignement qu’il aurait lui-même pu tirer de la situation, et le pousse à se focaliser sur les stratégies qu’il mettra en place pour se défendre et ne plus se sentir dévalorisé ».
## Conséquences naturelles et conséquences logiques
Bien des parents passent leur temps à faire à la place de leur enfant, et même à rattraper leur négligence : essuyer l’eau du verre qu’il a renversé, lancer une machine en catastrophe car il n’a pas mis ses affaires au sale au fur et à mesure comme demandé, racheter un jouet oublié, etc. Cette attitude n’est pas éducative, car elle déresponsabilise.
À l’exception de trois situations précises, pour lesquelles l’adulte intervient immédiatement : danger (on n’attend pas que le bambin se fasse renverser par une voiture, bien sûr), irrespect des autres (on ne le laisse pas dessiner sur les murs de la pédiatre), indifférence (même si ça ne le dérange pas fondamentalement, il doit se laver, ne pas se nourrir uniquement de sodas et de sucreries, par exemple).
Aux conséquences naturelles s’ajoutent les conséquences logiques, qui demandent une intervention extérieure. Pour être aidante, la Discipline positive affirme qu’une conséquence logique doit être conforme aux « 4 R » : reliée au comportement, respectueuse (sans dévalorisation ni culpabilisation ou humiliation), raisonnable et révélée à l’avance.
Ainsi, Jane Nelsen illustre son propos par un témoignage personnel : « Pendant des années, j’ai dû harceler mes sept enfants pour qu’ils s’habillent. Un beau jour, nous avons eu une discussion et, tous ensemble, nous avons décidé que le petit déjeuner serait servi entre 8 heures et 8 h 30. Si quelqu’un ne se présentait pas, habillé, dans ce laps de temps, il attendrait le déjeuner. Impliqués dans la décision, les enfants se montrèrent assez coopératifs les premières semaines. »
Jusqu’à ce que son fils de 7 ans se présente un matin à 8h35… « Kenny, lui dis-je, je suis désolée, mais le petit déjeuner est terminé. Je suis sûre que tu tiendras jusqu’à midi. » L’enfant entreprit de se servir lui-même, mais sa mère lui retira les céréales sans ajouter un mot. « Il entra alors dans une formidable colère qui dura 45 min, poursuit-elle, s’arrêtant de temps en temps pour repartir à l’assaut du placard. À chaque fois je le redescendais, sans un mot, avec fermeté et bienveillance, en me conformant calmement à ce qui avait été décidé. »
Tout le monde respecta l’horaire pendant deux semaines, puis Kenny tenta de nouveau sa chance et arriva en pyjama… « Oh non, je ne vais pas être capable de supporter sa crise pendant 45 min ! », pensa sa mère. « Heureusement, je n’eus qu’une seule fois à l’attraper pour le faire redescendre du bar, avant de l’entendre marmonner “De toute façon, j’en voulais même pas du petit déj'”, puis de le voir partir s’habiller et aller jouer. Ce fut la dernière fois qu’un problème se posa dans notre routine du matin. »
## « Le droit d’être faillibles »
Ainsi, l’éducation positive donne bien un cadre à l’enfant. « Sans doute certains discours sur l’éducation sont-ils culpabilisants, accorde Charlotte Ducharme. Il ne faut pas gommer les difficultés de la parentalité : à cause de notre histoire, de notre caractère, de notre vision de la vie, nous ne sommes pas tous égaux. Mais on essaye de faire mieux que nos parents, et les générations suivantes essayeront de faire mieux que nous… » De quoi déculpabiliser un peu.
« Les parents ont le droit d’être faillibles », confirme en souriant Claire de Campeau, qui a coécrit Parents et heureux ! (Larousse, 2019). Cette mère de quatre enfants, professeure des écoles, a créé plusieurs groupes d’entraide sur les réseaux sociaux. « Oui, il nous arrive d’être fatigués, de crier, de mal faire, mais l’essentiel est de tendre vers le mieux. Nous progressons quand nous acceptons que l’émotion de l’enfant existe et quand nous l’accueillons. Il nous revient de lui apprendre à l’exprimer de manière appropriée, en lui proposant des solutions concrètes. En cas de colère, par exemple : un coussin sur lequel taper, un banc où revenir au calme, un aller-retour dans le jardin, etc. »
Les parents guident aussi dans la verbalisation : « Lors d’un conflit, le message clair issu de la CNV permet d’exprimer le problème et de résoudre les différends. » L’éducation positive recourt à différents outils utiles pour grandir en société. « L’éducation repose avant tout sur notre capacité à évoluer, considère Charlotte Ducharme. L’enfant apprend par imitation. Nos casseroles (mauvaise estime de soi, peurs, incapacité à dire non, etc.) auront plus d’effets que nos paroles. »
Comme l’a observé cette coach parentale : « Apprendre à gérer sa propre colère demande du temps. Or, dans notre société de l’immédiateté, les parents pressés sont parfois avides de “trucs” et séduits par des solutions à court terme qui semblent régler le problème, comme envoyer l’enfant dans sa chambre. Un travail sur soi demande un minimum de temps et d’investissement. » Il permet de s’élever, parents et enfants, ensemble.

Date Sujet#  Auteur
25 Jan 24 o Stéphanie Combe, « Éducation positive : le grand malentendu ? », *La Vie*, 16/06/20231Adou

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