Vaudou

Plus rien ne se distingue nettement désormais, tout n’est que silhouettes incertaines, l’imagination submerge la réalité, les frontières disparaissent peu à peu, à cela se rajoute un silence placide dans la lourdeur de l’air suffocant.
Mais le silence est trompeur.
Quelques repères, on s’y raccroche. Ici le son ténu du goutte-à-goutte lancinant des lianes suintantes, clepsydre du marais qui suinte comme jamais auparavant. Le ciel est de cendres, l’autour de brouillard s’enroule entre les arbres dégoulinants. Tout près des feux crépitent et des corps fiévreux se tordent parmi les fumerolles. Des chants chuchotés psalmodient et bouclent à l’infini, des seins nus luisent sous des colliers de dents d’alligators, des chapeaux improbables faits de feutre et de plumes d’oiseaux rares défilent et se saluent désordonnés.
Dans la torpeur, les paupières battent à la cadence d’un banjo asthmatique, un poignard transperce un cœur d’animal qui sanguinole sur le marbre d’une pierre tombale, des masques de morts noirs grimacent et deviennent blancs, reprennent vie soudain, pas tout à fait morts plus vraiment vivants. Plus loin, Un chat sauvage avale un harmonica et s’étrangle accompagnée de la mandoline d’une revenante en robe de soie blanche.
Un sorcier caché sous les racines des palétuviers tape et tanne avec frénésie les peaux d’un tambour avec les fémurs d’un vieux bouc, le bayou s’évanouit dans des senteurs épicées de cannelle et de vase, et dans cette cacophonie, la rumeur étouffe le son des claques sur les nuques moites.