La bohème II

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Sujet : La bohème II
De : monsieur.karamako (at) *nospam* orange.fr (karamako)
Groupes : fr.rec.arts.litterature
Date : 06. Jun 2023, 10:47:44
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Un monde sans femmes
Cette petite armée d’artistes aime se compter et alimenter sa propre légende. Une littérature d’anciens bohèmes se nourrit de son passé et le régurgite jusqu’à épuisement des vivants. En 1861, la fine fleur du microcosme est ainsi présente aux funérailles de l’un de ses centres de gravité, Henry Murger, et le Figaro rapporte scrupuleusement la composition de l’assistance, classée par activité. Son ami, Privat d’Anglemont, donne la composition de la bande des Buveurs d’eau dans ses livres d’anecdotes sur Paris. Alfred Delvau, dans /Henry Murger et la Bohème/, ravive (rabâche ?) les mêmes souvenirs (1866). Firmin Maillard raconte les siens dans /Les Derniers bohèmes/ (1874), tout comme Alexandre Schanne dans ses /Souvenirs/ de 1886, dresse la liste de ceux qui fréquentaient le Café de Roche. L’année suivante, les chroniques de Jules Levallois, intitulées « Physionomies de la Bohême » paraissent dans le XIXe siècle, quand presque tous sont déjà morts. Philibert Audebrand, l’un des derniers survivants, énumère pendant des pages les collaborateurs du Corsaire-Satan, journal satirique, et les habitués de la Brasserie des Martyrs ou de la Brasserie Andler dans ses /Derniers jours de la Bohême/ (1905).
On pourrait grouper ces bohèmes par cercles, en fonction de leurs amitiés, ou de leur génération, ou du café où ils se retrouvent (les cafés Momus ou La Roche, le Divan Le Peletier, les Brasseries Andler et des Martyrs…), des journaux dans lesquels ils écrivent (le Corsaire-Satan, La Silhouette, Le Figaro, le Diable boiteux, le Nain jaune…), de leur bord politique ou religieux (Quarante-huitards, révolutionnaires, républicains, bonapartistes, communards, fouriéristes, anticléricaux ou mystiques) voire de leur manière de quitter le monde car beaucoup meurent à l’hôpital, de préférence à la maison municipale de santé du Dr Dubois, « hôpital des gens de lettres », souvent à un âge prématuré.
Dans les témoignages, ils sont littérateurs, journalistes, auteurs dramatiques, plasticiens (comme on dirait aujourd’hui), musiciens mais aussi philosophes, photographes, architectes…, et même un prestidigitateur. Aucune femme dans ces listes, elles sont les oubliées parmi les oubliés. Nombreuses sont celles qui participent de ce milieu sans accéder pourtant à la reconnaissance artistique, zone de domination exclusivement masculine, à l’exception des danseuses et des comédiennes. Ces femmes figurantes, présentes à l’arrière-plan, ne sont le plus souvent désignées que par un prénom voire un surnom, et laissent une trace encore plus frêle que celle de leurs amants dans les livres et les journaux. Comme ce ne sont pas elles qui racontent la bohème, seul le récit masculin subsiste, ce que des hommes, leurs amis, ont bien voulu dire d’elles en marge. Ils décrivent parfois des femmes libres, belles, grandes amoureuses, papillons qui partagent leurs plaisirs avec de pauvres poètes ou peintres qui sont leurs amants de cœur dont elles sont parfois les modèles, contraintes par la misère de vendre leurs jeunes corps à de riches admirateurs, et qui meurent poitrinaires avant trente ans. À Paris, une femme du peuple célibataire ne peut généralement subvenir à ses besoins en exerçant un métier « respectable » mal payé (couturière, ouvrière en linge, fleuriste…).
(la suite à demain)
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A.

Date Sujet#  Auteur
6 Jun 23 o La bohème II1karamako

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